Exception relative à la sécurité nationale

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Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement

Le Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement (BOA) est une organisation neutre et indépendante du gouvernement du Canada qui travaille en collaboration avec les ministères fédéraux et les entreprises canadiennes (fournisseurs) pour promouvoir l’équité, l’ouverture et la transparence de l’approvisionnement fédéral. Le BOA s’acquitte de ce mandat en établissant des liens entre les intervenants, en étudiant les plaintes, en réglant les problèmes, en formulant des recommandations et en communiquant les pratiques exemplaires.

Le BOA :

  • examine les pratiques d’acquisition des biens et des services des ministères fédéraux pour en évaluer l’équité, l’ouverture et la transparence, et présente au ministère concerné des recommandations appropriées pour les améliorer;
  • examine toute plainte relative à l’attribution d’un contrat d’acquisition de biens d’une valeur inférieure à 30 300 $ ou d’un contrat d’acquisition de services d’une valeur inférieure à 121 200 $ lorsque les critères de l’Accord de libre-échange canadien s’appliquent;
  • examine toute plainte relative à la gestion d’un contrat visant l’acquisition de biens ou de services par un ministère, peu importe la valeur du contrat;
  • veille à donner l’accès à un mécanisme de règlement extrajudiciaire des différends, lorsque les parties concernées conviennent d’y participer.

En 2018, le BOA a lancé une initiative d’approfondissement et de partage des connaissances (APC) pour mieux comprendre les principaux problèmes rencontrés avec l’approvisionnement fédéral. Par la publication d’études d’APC, le BOA compte diffuser des connaissances et fournir des directives utiles aux intervenants de l’approvisionnement fédéral.

Remerciements

Le BOA tient à remercier les organisations fédérales et provinciales participantes et les personnes ayant participé aux entrevues pour leur contribution à l’élaboration de cette étude.

Demandes de renseignements

Les demandes de renseignements devraient être adressées au :

Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement
410, avenue Laurier O., bureau 400
Ottawa (Ontario)  K1R 1B7
Canada

Téléphone : 1-866-734-5169

Numéro sans frais pour les malentendants : 1-800-926-9105

Courriel : ombudsman@opo-boa.gc.ca

Introduction

Les chapitres sur les marchés publics des accords commerciaux internationaux présentent les règles que les pays membres doivent respecter lorsqu’ils font l’acquisition de biens, de services ou de services de construction. Ces règles permettent de s’assurer que les fournisseurs des pays membres sont traités d’une manière ouverte, transparente et non discriminatoire lorsqu’ils vendent des biens ou des services à des gouvernements ou à d’autres pays membres. Ces accords nécessitent que les fournisseurs aient accès à des mécanismes de règlement des différends, lesquels permettent de s’assurer que ces obligations sont respectées.

Les chapitres sur les marchés publics comportent deux grandes parties. La première partie comprend les règles procédurales qui doivent être suivies pour s’assurer que l’approvisionnement se fait en respectant les « principes de non-discrimination, d’impartialité et de transparenceNote de bas de page 1 ». La deuxième partie comprend les listes d’engagements en matière d’accès aux marchés, lesquelles recensent les types d’achats assujettis à ces règles. Pour que ces règles s’appliquent, l’approvisionnement doit être effectué par l’une des entités couvertes indiquées dans l’accord, la valeur estimée de l’achat doit dépasser un certain seuil monétaire et l’achat doit porter sur des biens, des services ou des services de construction visés par l’ententeNote de bas de page 1.

Ces accords définissent les conditions requises pour qu’un approvisionnement puisse être exempté de ces règles. Une de ces conditions est pour la protection de la sécurité nationale. L’« exception relative à la sécurité nationale » (ESN) permet au Canada et aux autres pays membres de l’accord d’exempter un approvisionnement de certaines ou de la totalité des obligations de l’accord commercial, lorsque les parties estiment que cela est « nécessaire afin de protéger les intérêts du pays sur le plan de la sécurité nationaleNote de bas de page 2 ».

Les termes utilisés pour définir l’ESN sont les mêmes dans tous les accords commerciaux internationaux du CanadaNote de bas de page 3. L’ESN n’est pas défini comme étant une exception des accords commerciaux qui entraîne automatiquement le retrait de l’application de l’accord dans son entièreté, ou une exemption à ces accords. Dans l’un des accords, il est dit : « le présent accord ne peut être interprété comme : (a) obligeant le gouvernement du Canada à fournir des renseignements dont la divulgation serait, selon lui, contraire à la sécurité nationale, ou à donner accès à de tels renseignements; (b) empêchant le gouvernement du Canada de prendre les dispositions qu’il juge nécessaires pour protéger les intérêts du Canada en matière de sécurité nationale ou pour respecter ses obligations internationales en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationalesNote de bas de page 4 ». Lorsque l’ESN est invoquée, l’application des règles de l’accord commercial à la demande particulière est suspendue dans la mesure nécessaire pour protéger les intérêts nationaux en matière de sécurité.

Bien que l’utilisation du terme « sécurité nationale » soit répandue, ce dernier n’est pas défini explicitement dans ces accordsNote de bas de page 5. Appelée « clause passe-partout » par certains, l’ESN a intentionnellement un libellé flexible pour qu’on puisse rendre compte des menaces changeantes auxquelles la sécurité nationale est exposéeNote de bas de page 6. Les ESN sont habituellement utilisées pour « la défense nationale et les menaces militaires, la souveraineté, la protection des renseignements de sécurité, la sécurité environnementale, la sécurité humaine et la sécurité économiqueNote de bas de page 7 ».

Cette étude se penche sur la façon dont l’ESN est construite et appliquée, et sur son lien avec l’équité, l’ouverture et la transparence (EOT) de l’approvisionnement du gouvernement fédéral. Elle examine comment l’ESN peut mener à un manque de transparence tout en protégeant ces approvisionnements des mécanismes de recours et de responsabilité traditionnels offerts par le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) et le BOA.

Elle a permis de conclure que l’EOT sont justifiées et admissibles lorsque l’approvisionnement se rapporte à des intérêts nationaux en matière de sécurité, mais que l’application de l’ESN devrait être ciblée et transparente.

Pouvoirs

Bien que le pouvoir d’invoquer l’ESN découle des divers accords commerciaux, ces derniers ne donnent pas d’indication sur la manière d’invoquer cette exceptionNote de bas de page 8. Toutefois, le TCCE fournit quelques précisions sur l’invocation.

Le TCCE est l’institut créé pour enquêter sur les plaintes des fournisseurs éventuels relatives à l’adhésion du Canada à ses obligations imposées aux accords commerciauxNote de bas de page 9. Le processus de traitement des plaintes au TCCE est régi par le Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics (le Règlement). Le Règlement a été modifié en juin 2019 pour définir les critères pour l’invocation adéquate de l’ESN et fournir des « clarifications » sur la compétence du TCCE à l’égard de cette exceptionNote de bas de page 10.

Selon le Règlement modifié, le pouvoir d’invoquer l’ESN appartient au sous-ministre adjoint (SMA) ou à une personne d’un poste équivalent qui a la responsabilité d’octroyer le contrat, et l’ESN est considérée comme « dûment invoquée » lorsque cette personne a signé une lettre d’approbation de l’invocation de l’exception avant la date de l’octroiNote de bas de page 11.

Le Règlement modifié exige du TCCE qu’il « ordonne le rejet d’une plainte » si l’ESN a été « dûment invoquée » (paragraphe 10[2]). Par conséquent, la compétence du TCCE à l’égard de l’enquête sur les plaintes relatives à l’octroi des contrats visés par une ESN se limite à un examen consistant à déterminer si l’exception a été dûment invoquée du point de vue de la procédure, c’est-à-dire si elle a été invoquée par le SMA concerné ou une personne ayant un poste équivalent, et si on a consigné cette invocation dans une lettre signée avant l’octroi du contratNote de bas de page 12. Une fois que le TCCE a établi que l’ESN a été dûment invoquée, la plainte doit être rejetée. Le fait d’invoquer dûment l’ESN n’entraîne pas l’abrogation des obligations des accords commerciaux. Cela ne fait qu’éliminer le pouvoir qu’avait le TCCE d’enquêter sur la plainte pour déterminer si celle-ci porte sur l’invocation de l’ESN ou un autre aspect du processus d’approvisionnement. Toutefois, si le TCCE détermine que l’ESN a été invoquée indûment, rien ne peut être fait pour l’empêcher de poursuivre son enquête visant un autre aspect du processus d’approvisionnement.

Le Règlement n’exige pas du gouvernement qu’il fournisse une justification pour son invocation de l’ESN. Il n’exige pas non plus qu’un avis d’invocation de l’ESN figure dans les documents d’approvisionnementNote de bas de page 13. Cependant, le Guide des approvisionnements de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) contient ces exigences.

Le Guide des approvisionnements de SPAC renferme les politiques et les procédures devant être appliquées par les agents de négociation des contrats du ministère lorsqu’un approvisionnement est entrepris pour le compte d’autres organisations du gouvernement du CanadaNote de bas de page 14. L’article 3.105, Exceptions relatives à la sécurité nationale, fournit des indications sur l’invocation de l’ESN.

Conformément à l’autorité conférée au ministre des Services publics et de l’Approvisionnement en vertu de l’article 6 de la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, le pouvoir d’invoquer l’ESN ne doit pas être délégué à un agent occupant un rang hiérarchique moins élevé qu’un SMANote de bas de page 15. De plus, lorsque l’autorité contractante est le personnel du Programme des approvisionnements de SPAC, l’ESN ne doit être invoquée par nul autre que le SMA du Programme des approvisionnements de SPACNote de bas de page 15. Le Guide des approvisionnements exige également des agents de négociation des contrats qu’ils « insèrent l’énoncé suivant dans tous les avis aux soumissionnaires ainsi que dans tous les documents d’invitation à soumissionner dans lesquels l’ESN a été invoquée : « Ce marché fait l’objet d’une exception relative à la sécurité nationale; il n’est donc pas assujetti aux dispositions des accords commerciauxNote de bas de page 16. »

Concernant les procédures précises devant être suivies lorsque l’ESN est invoquée, le Guide des approvisionnements exige que la demande soit présentée sous forme de lettre provenant d’une personne responsable de niveau équivalent à celui d’un SMA au sein du ministère client. Cette lettre doit décrire la nature de l’achat proposé et le lien qui existe entre celui-ci et les intérêts du Canada en matière de sécurité nationaleNote de bas de page 17.

Suivant la réception de cette lettre, le SMA du Programme des approvisionnements « déterminera seulement s’il faut ou non invoquer l’ESN; à cette étape, il ne se penchera pas sur les autres questions comme les méthodes d’approvisionnement, les plans d’approvisionnement ou l’autorisation de conclure un contratNote de bas de page 18 ». Une fois qu’on sera parvenu à une décision, le ministère client sera informé par écrit par le SMA du Programme des approvisionnements. L’agent de négociation des contrats doit ensuite indiquer dans tous les documents d’approvisionnement qu’une ESN a été invoquéeNote de bas de page 19. Les documents d’approbation de l’approvisionnement doivent contenir la justification de l’invocation ainsi que les accords commerciaux précis desquels l’approvisionnement est exemptéNote de bas de page 19.

Équité, ouverture et transparence

Les règles et règlements qui régissent les marchés publics reposent sur les principes de l’équité, de l’ouverture et de la transparence, qui sont également les principes directeurs des accords commerciauxNote de bas de page 20. Puisque l’ESN a une incidence sur les obligations des accords commerciaux, il peut y avoir des répercussions sur l’EOT. Plusieurs de ces répercussions sont abordées plus loin.

Pour illustrer ces principes présents dans les obligations des accords commerciaux, des exemples tirés de l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce (AMP-OMC) sont fournisNote de bas de page i. L’AMP-OMC est l’un des nombreux accords commerciaux dont le Canada est partie. Chaque accord a des obligations qui lui sont propres. Pour une liste des accords commerciaux du Canada, voir l’annexe A du présent rapport.

Équité

Le principe d’équité dans les marchés publics implique une application uniforme des règles procédurales et un traitement non discriminatoire des soumissionnaires. Ces règles ont été conçues pour s’assurer que les décisions sont prises par des acteurs impartiaux et qu’elles reposent sur des renseignements pertinents.Note de bas de page 21.

Obligation de non-discrimination

L’exigence de non-discrimination est présente dans chacun des accords commerciaux du Canada. Elle interdit la discrimination envers les biens, les services et les fournisseurs des parties de l’accord commercialNote de bas de page 22. Par exemple, l’article IV de l’AMP-OMC, Principes généraux de la non-discrimination, exige que les entités contractantes « accordent immédiatement et sans condition, aux marchandises et aux services de toute autre Partie… un traitement qui ne sera pas moins favorable que celui que la Partie, y compris ses entités contractantes, accorde : a) aux marchandises, aux services et aux fournisseurs nationaux; et b) aux marchandises, aux services et aux fournisseurs de toute autre PartieNote de bas de page 23 ».

L’exigence de non-discrimination vise à faire en sorte que les fournisseurs des partenaires commerciaux soient traités sur le même pied d’égalité que les fournisseurs nationaux et les marchandises nationalesNote de bas de page 22. La non-discrimination est l’un des principaux moyens pour atteindre l’équité dans le processus d’approvisionnementNote de bas de page 22.

Obligation de fournir des raisons claires et justifiées pour les décisions visant les parties touchées

L’article XVI de l’AMP-OMC sur la Transparence des renseignements relatifs aux marchés stipule qu’« une entité contractante informera dans les moindres délais les fournisseurs participants des décisions qu’elle aura prises concernant l’adjudication du marché et, si un fournisseur le lui demande, elle le fera par écrit...[et] elle exposera, sur demande, à un fournisseur non retenu les raisons pour lesquelles elle n’a pas retenu sa soumission ainsi que les avantages relatifs de la soumission du fournisseur retenuNote de bas de page 24 ».

Depuis 2020, le BOA est contacté par de nombreux intervenants s’interrogeant à propos de l’invocation de l’ESN par le Canada pour l’acquisition d’articles en lien avec la pandémie de COVID-19. Le BOA a reçu plusieurs plaintes de la part de fournisseurs relativement à la transparence du processus d’approvisionnement et aux résultats de la demande de soumissionsNote de bas de page 25. Aucune de ces plaintes ne répondait aux critères énoncés dans le Règlement concernant l’ombudsman de l’approvisionnement. Par conséquent, l’ombudsman n’a pas pu entreprendre d’examens officiels pour ces plaintes.

Obligation d’établir une procédure de recours administratif ou judiciaire s’appliquant en temps opportun et étant efficace, transparente et non discriminatoire

Dans le cadre des accords commerciaux, les parties sont tenues d’établir une procédure de recours administratif ou judiciaire avec laquelle un fournisseur peut formuler des plaintes pour une violation de l’accordNote de bas de page 26.

Au Canada, c’est le TCCE qui assume ce rôle. Le TCCE est un tribunal administratif impartial qui enquête sur les plaintes relatives aux violations des obligations du Canada dans le cadre des accords commerciauxNote de bas de page 27

Comme il a été mentionné, le Règlement du TCCE a été modifié en 2019 afin de limiter la capacité de ce dernier à enquêter sur une ESN au-delà de l’invocation adéquate c'est-à-dire aller plus loin que déterminer si un SMA ou une personne ayant un poste équivalent responsable de l’octroi du contrat a signé une lettre d’approbation de l’invocation de l’exception avant la date de l’octroiNote de bas de page 28.

L’invocation adéquate d’une ESN fait en sorte qu’un fournisseur n’a pas accès à l’examen impartial de sa plainte par le TCCE, ce dernier n’étant alors pas autorisé à examiner autre chose qu’une invocation adéquateNote de bas de page 29. Le Règlement exige du TCCE qu’il « ordonne le rejet d’une plainte à l’égard de laquelle une exception relative à la sécurité nationale [...] a été dûment invoquée par l’institution fédérale concernéeNote de bas de page 30 ». Le TCCE n’est pas autorisé d’enquêter sur la justification de l’invocation de l’ESN, ni les autres aspects du processus d’approvisionnement qui autrement auraient été sujets à la juridiction, comme les aspects portant sur l’équité procédurale du processusNote de bas de page 31.

Cette modification apportée au Règlement du TCCE fait en sorte que les fournisseurs n’ont plus qu’un moyen de recours, à savoir une révision judiciaire c'est-à-dire le tribunal. Cela peut être plus coûteux et pourrait prendre beaucoup plus de temps.

Certains critiques de la modification réglementaire de 2019 font valoir que le TCCE a été mandaté par le Parlement pour jouer son rôle d’organisme de surveillance pour l’approvisionnement fédéral. La modification apportée au Règlement a grandement réduit sa capacité à assumer ce rôleNote de bas de page 32.

La modification du Règlement a également été critiquée par certains qui soulignent la nature des procédures délicates présentées devant le TCCE, comme preuve de sa capacité à gérer de façon fiable les procédures relatives aux questions de sécurité nationale, qui exigent une confidentialitéNote de bas de page 32. Les praticiens prennent des engagements, ce qui signifie qu’ils pourraient être exposés à des amendes et/ou à une exclusion s’ils ne respectent pas les exigences en matière de confidentialitéNote de bas de page 32. Autrement dit, si la confidentialité de l’approvisionnement est l’enjeu, il y a des garde-fous qui protègent la procédure des divulgations inappropriéesNote de bas de page 32.

Avant la modification du Règlement, en 2019, le TCCE avait fait observer que son mécanisme d’examen des soumissions n’était pas incompatible avec les préoccupations en matière de sécurité nationale, écrivant que le mécanisme a été conçu de manière à être « rapide, accessible et confidentiel, ce qui est crucial, pour garder au minimum les perturbations dans la procédure de passation de marchés publicsNote de bas de page 33 ». Le TCCE a de nouveau critiqué l’utilisation de l’ESN, qui enlève aux fournisseurs le droit de recevoir un examen impartial de sa part, et a émis une mise en garde relativement à la surutilisation de l’exception, écrivant que « les dispositions relatives à l’ESN prévues par les accords commerciaux agissent comme une soupape de sûreté soigneusement conçueNote de bas de page 34 ». Ces préoccupations ont été reprises à la Cour d’appel fédérale, qui a mentionné :

« L’invocation de l’exception concernant la sécurité nationale contient les germes redoutables d’un abus. Lorsqu’invoquée, l’exception a pour effet de mettre un marché public d’offres à l’abri de toute contestation devant le Tribunal spécialisé en la matière. Or, elle peut receler des arrière-pensées ou impropres qui la détournent de sa véritable finalité et justifie une révision judiciaireNote de bas de page 35. »

Ouverture

L’ouverture fait en sorte que tous les fournisseurs qualifiés ont la chance de participer à un processus d’approvisionnement.

Les accords commerciaux renferment des obligations qui ont pour but de s’assurer qu’un approvisionnement respecte le principe de l’ouverture. Les accords commerciaux favorisent l’ouverture, par une libre concurrence, l’interdiction de compensations et des échéances pour la demande de soumissions.

Obligation de lancer un appel d’offres

Les accords commerciaux préconisent une libre concurrence et permettent à tous les fournisseurs qualifiés de soumissionner. Une idée fausse à propos des ESN est que ces dernières entraînent automatiquement une exemption du processus concurrentielNote de bas de page 36. En fait, l’obligation de lancer un appel d’offres se trouve dans le Règlement sur les marchés de l’État (RME) qui, assujetti à certaines exceptions, mentionne que « avant la conclusion d’un marché, l’autorité contractante doit lancer un appel d’offresNote de bas de page 37 ». Le RME exige que cela soit fait « a) soit en donnant un avis public à cet effet conformément aux pratiques commerciales généralement reconnues; b) soit en s’adressant aux fournisseurs dont le nom figure sur la liste des fournisseursNote de bas de page 37. »

Puisqu’invoquer l’ESN n’a pas pour effet d’exempter un approvisionnement des exigences du RME, l’ESN ne confère pas aux agents de négociation des contrats le pouvoir d’octroyer un contrat. Pour octroyer un contrat sans appel d’offres, les approvisionnements pour lesquels l’ESN a été invoquée doivent encore satisfaire aux exceptions mentionnées à la section 6 du RME c'est-à-dire en dessous d’un certain seuil monétaire, seul un fournisseur est en mesure de répondre à l’exigence, etc.)Note de bas de page ii  Bon nombre de marchés assujettis au ESN sont octroyés par l’entremise de processus concurrentiels. À titre d’exemple, en 2015-2016, 920 millions de dollars des quelque un milliard de dollars de contrats non liés au ESN octroyés par Services partagés Canada ont fait l’objet d’un processus concurrentielNote de bas de page 38.

Obligation d’interdire les compensations

Les accords commerciaux renferment des obligations appelées « interdiction des compensations »Note de bas de page 39. Ces obligations favorisent l’ouverture, en empêchant que les parties exigent que les travaux soient effectués dans une certaine région ou qu’ils renferment un certain volume de contenu local. Le Guide des approvisionnements de SPAC décrit les compensations comme étant « toute condition ou activité favorisant le développement local, comme l’utilisation de contenu national ou localNote de bas de page 40 ».

Les obligations connexes comprennent les obligations qui exigent que la demande de soumissions n’impose pas de conditions arbitraires aux soumissionnaires pour la qualificationNote de bas de page 41. De façon similaire, les spécifications techniques doivent être basées sur des normes nationales ou internationales et être décrites sur le plan des exigences fonctionnelles et de rendement. Autrement dit, elles ne peuvent pas prescrire une solution de conception ou de technologie que seul un soumissionnaire ou un groupe de soumissionnaires en particulier sont en mesure de fournirNote de bas de page 41. Ces obligations empêchent les parties de définir leurs exigences d’une manière qui avantage ou désavantage les fournisseurs des autres régions, et empêchent que l’approvisionnement soit restrictif inutilement. Pour les accords commerciaux internationaux comme l’AMP-OMC et les accords internes tels que l’Accord de libre-échange canadien (ALEC), l’interdiction des compensations fait en sorte que les fournisseurs ont tous la chance de soumissionner et d’obtenir une occasion quel que soit leur emplacement.

Invoquer l’ESN permet de supprimer cette obligation. Les fonctionnaires peuvent alors restreindre l’accès à un approvisionnement à des fournisseurs d’une région ou d’un comté précis. L’invocation récente de la Politique sur le contenu canadien (PCC) dans les approvisionnements en réponse à la COVID-19 en témoigneNote de bas de page 42.

Durée de la période de soumission

Les accords commerciaux renferment des obligations relatives à la manière dont les occasions de contrat doivent être annoncées et à la durée de la période de soumission de sorte que les soumissionnaires aient suffisamment de temps pour préparer une proposition recevableNote de bas de page 43. La durée de la période de soumission peut avoir une incidence sur la transparence de l’approvisionnement.

Les accords commerciaux du Canada renferment des dispositions qui précisent la durée minimale de la période de soumission. Par exemple, l’AMP-OMC exige que la période de soumission dure au moins 25 jours pour les appels d’offres sélectifs et au moins 40 jours pour les processus d’invitation ouverte à soumissionner. Note de bas de page 44 Même dans le cas d’une urgence, la période de soumission ne peut pas durer moins de 10 joursNote de bas de page 45.

Transparence

Dans le contexte de l’approvisionnement fédéral, la transparence renvoie à la divulgation de l’information au publicNote de bas de page 46. Elle fait en sorte que les soumissionnaires intéressés ont accès à tous les renseignements dont ils ont besoin pour préparer une proposition recevable, y compris les critères d’évaluation et la méthode de sélectionNote de bas de page 47. La transparence exige que l’on conserve des registres appropriés des décisions clés pour établir une piste de vérification et faire en sorte que les membres du public aient accès à l’information sur les octrois de contratsNote de bas de page 48.

Obligation de fournir un avis

Les accords commerciaux renferment des obligations relatives à l’exigence de fournir un avis pour les marchés envisagés. Certains accords, comme l’AMP-OMC, exigent que cet avis soit publié et « largement diffusé [...] et qu’il demeure facilement accessible au public, au moins jusqu’à l’expiration du délai qui y est indiquéNote de bas de page 49 ». Cela permet aux parties intéressées de prendre connaissance des occasions et leur donne suffisamment de temps pour préparer une proposition recevableNote de bas de page 50.

Il y a également des dispositions particulières qui traitent des renseignements qui doivent être inclus dans un avis. L’AMP-OMC énumère douze dispositions, notamment « une description complète des éléments suivants : le marché, y compris la nature et la quantité des marchandises ou des services devant faire l’objet du marchéNote de bas de page 51 ».

Les ESN sont souvent invoquées pour protéger et limiter la divulgation publique des exigences techniques d’un approvisionnement et des renseignements sur les transactions et les fournisseursNote de bas de page 52. Les spécifications techniques de l’équipement essentiel de sécurité et d’application de la loi ne peuvent pas être divulguées au publicNote de bas de page 53. Si l’information sur les exigences opérationnelles est facile d’accès, la sécurité des utilisateurs finaux peut être compromiseNote de bas de page 54. La non-divulgation est d’une importance capitale pour le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Les efforts déployés par le Canada pour la protection des renseignements seraient entravés si l’historique de nos capacités technologiques était communiquée à l’échelle des biens et services achetésNote de bas de page 55.

Obligation de publier l’information sur l’octroi

Les accords commerciaux exigent des parties qu’elles publient un avis d’octroi après l’attribution d’un contrat. Par exemple, l’AMP-OMC exige qu’un tel avis soit publié dans les 72 jours suivant l’octroi d’un contrat et que cet avis renferme des renseignements comme une description des biens ou des services achetés, le nom et l’adresse de l’entité contractante, le nom et l’adresse du fournisseur retenu, la valeur de la soumission retenue ou la valeur de l’offre la plus élevée et de l’offre la plus basse, la date d’octroi et le type de méthode d’approvisionnement utiliséNote de bas de page 56.

Dans certains cas, l’ESN peut être invoquée pour limiter la divulgation de l’information sur l’octroi pour des raisons de sécurité. Ce fut le cas pour l’invocation de l’ESN en réponse à la crise des réfugiés syriens survenue en 2015. Après l’invocation de l’ESN, le ministère acheteur a clairement indiqué qu’il ne divulguerait pas l’identité du fournisseur, ni l’emplacement des travauxNote de bas de page 57.

L’invocation de l’ESN peut limiter la divulgation publique de l’information et, par conséquent, réduire la transparence de l’approvisionnement. Lorsque la nature de l’approvisionnement est liée à des intérêts en matière de sécurité nationale, une telle réduction de la transparence est justifiée et autorisée.

Chacune des obligations d’accord commercial mentionnées précédemment peut être assujettie à une ESN. La manière dont l’ESN est utilisée peut elle aussi avoir une incidence sur l’EOT. Les accords commerciaux n’exigent pas que l’invocation de l’ESN soit annoncée dans les documents d’appel d’offres, ni qu’elle soit divulguée au publicNote de bas de page 58. De plus, comme il a été mentionné précédemment, l’ESN peut être enclenchée à tout moment avant l’octroi du contratNote de bas de page 59. Il y a eu des cas où des fournisseurs ou d’autres organismes gouvernementaux n’étaient pas au courant que l’ESN avait été invoquée jusqu’à ce qu’une plainte soit déposée auprès du TCCENote de bas de page 60. Il s’agit d’une source de frustration pour le TCCE, car les fournisseurs perdent du temps et des ressources à déposer des plaintes qui ne font pas partie de son mandat d’enquêteNote de bas de page 61. Compte tenu de cette frustration, il arrive que le TCCE fasse payer les frais de la soumission aux fournisseursNote de bas de page 62.

Exception ne veut pas dire absence de règles

Bien que l’utilisation de l’ESN permette l’exclusion de certaines ou la totalité des obligations d’un accord commercial, elle n’a pas d’incidence sur les obligations auxquelles l’approvisionnement national est assujettiNote de bas de page 63. Deux exemples d’obligations qui demeurent lorsqu’une ESN est enclenchée sont le Règlement concernant les marchés de l’État (RME) et la Directive sur la gestion de l’approvisionnement du Conseil du Trésor. Aucun des deux ne renferme des autorisations d’exclusion pour motif de sécurité nationale.

L’invocation de l’ESN n’a pas pour effet d’exempter un approvisionnement des obligations du RME et des obligations des autres politiques nationales. Ainsi, un certain nombre d’exigences importantes relatives à l’équité, à l’ouverture et à la transparence dans les approvisionnements demeure dans les obligations nationales. Un exemple mentionné précédemment est l’obligation de lancer un appel d’offres, qui est assujettie aux exceptions définies à l’article 6 du RME. Il est important de rappeler que l’ESN a une incidence sur les obligations des accords commerciaux uniquement. Concrètement, cela signifie que les marchés visés par une ESN sont souvent des marchés concurrentiels qui demeurent assujettis aux normes d’EOT décrites dans la politique d’approvisionnement national.

Les exceptions relatives à la sécurité nationale en pratique

Utilisation ciblée de l’exception relative à la sécurité nationale

L’ESN peut être utilisée pour exempter un approvisionnement de certaines ou de la totalité des obligations des accords commerciaux pertinentsNote de bas de page 64. La pratique consistant à exclure certaines des obligations tout en en laissant d’autres intactes peut être définie comme étant l’utilisation « ciblée » de l’ESNNote de bas de page 65. Par exemple, des préoccupations en matière de sécurité peuvent nécessiter le retrait d’exigences techniques de la divulgation publique. Toutefois, d’autres aspects, comme la période minimale de la soumission, peuvent être laissés intacts.

Le TCCE a démontré que l’utilisation ciblée de l’ESN est permise avec les accords commerciaux et, par conséquent, encourage cette pratiqueNote de bas de page 66. Dans le litige opposant Eclipsys Solutions Inc. et Services partagés Canada, le tribunal a insisté sur le fait que « les dispositions des accords commerciaux en matière de sécurité nationale requièrent que les institutions fédérales limitent l’invocation de l’exception seulement dans la mesure nécessaire pour préserver la sécurité nationale. Cela signifie que les institutions fédérales devraient évaluer celle-ci de façon objective et n’exclure que les obligations prévues dans les accords commerciaux qui pourraient effectivement compromettre la sécurité nationaleNote de bas de page 67 ».

Les conséquences de ne pas limiter ou cibler l’utilisation de l’ESN ont été mises en lumière dans le litige opposant M.D. Charlton CO. LTD. et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC)Note de bas de page 68. Le marché portait sur la fourniture de jumelles de vision nocturne pour la GRC. La demande de soumissions a été transmise aux soumissionnaires d’une liste préétablie. Sa divulgation publique n’était pas autoriséeNote de bas de page 69. En tant que ministère acheteur, TPSGC a exclu toutes les obligations des accords commerciaux. Toutefois, son invocation ne cadrait pas avec l’évaluation précédente de la GRCNote de bas de page 70. La préoccupation en matière de sécurité nationale traitée dans l’évaluation de la GRC était la protection des spécifications techniques contre la divulgation publiqueNote de bas de page 71. Ainsi, il revenait à TPSGC d’« exclure uniquement les dispositions des accords nécessaires pour protéger l’intérêt de sécurité nationale en jeuNote de bas de page 70». Ce litige a mis en lumière la distinction entre le fait de limiter ou cibler l’ESN uniquement pour les obligations d’accords commerciaux qui ont une incidence sur la sécurité nationale, et le cas opposé, où toutes les obligations sont retirées. Ce litige est marquant, car on y a présenté un cas où retirer toutes les obligations des accords commerciaux était inapproprié. Finalement, on a établi que la plainte était fondée. On a fait la recommandation d’annuler la demande de soumissions et de la remplacer par une nouvelle demandeNote de bas de page 72.

Exception relative à la sécurité nationale générale

L’utilisation sans réserve des ESN entraîne le retrait de toutes les obligations des accords commerciaux. Cette approche comporte deux volets : l’utilisation au niveau du projet et l’utilisation pour une catégorie entière de biens et/ou de services.

Dans le premier volet, l’ESN est utilisée pour que tous les approvisionnements d’un projet donné soient exemptés des obligations des accords commerciaux. Par exemple, en 2008, l’ESN a été utilisée sans réserve pour appuyer les opérations militaires en Afghanistan. Cela s’est reproduit en 2015, pour relocaliser les réfugiés syriensNote de bas de page 73.

Le deuxième volet consiste à exempter une catégorie entière de biens/services. On y a recours plus rarement. Cette exemption est généralement utilisée par les ministères qui ont des préoccupations constantes sur le plan de la sécurité nationale, comme Services partagés Canada (SPC), le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et la Gendarmerie royale du Canada (GRC)Note de bas de page 74. Plus récemment, une ESN générale a été invoquée par SPAC pour des approvisionnements en réponse à la pandémie de COVID-19Note de bas de page 75.

Un exemple d’utilisation du deuxième volet est en 2012, où SPC a invoqué une ESN générale pour l’achat de tout article lié « au courrier électronique, aux réseaux/télécommunications, aux systèmes de centre de données, aux infrastructures et aux servicesNote de bas de page 74». Dans la justification du ministère, il est mentionné que l’ESN s’applique à divers approvisionnements et s’adresse à des fournisseurs présélectionnés qui répondent aux exigences relatives aux cotes de sécuritéNote de bas de page 74.

Dans le cadre de cette utilisation généralisée de l’ESN, tous les approvisionnements visés par une ESN sont traités de la même façon. Bien qu’elle soit autorisée pour les accords commerciaux, cette utilisation peut nuire inutilement et de façon importante à l’équité, l’ouverture et la transparence de plusieurs approvisionnements. Bien que les règlements et les directives actuelles entourant l’invocation de l’ESN laissent aux ministères la liberté de choisir la meilleure manière de satisfaire leurs besoins et de répondre aux préoccupations en matière de sécurité nationale, l’ampleur de l’exception générale a trois grandes répercussions. D’abord, en ce qui a trait à cette utilisation, les approvisionnements d’une même catégorie sont traités comme s’ils avaient la même incidence sur la sécurité nationale, ce qui n’est pas forcément le cas. Ensuite, l’exemption d’une catégorie entière de biens et de services peut s’accompagner de l’exemption d’approvisionnements en entier ou de l’exemption d’aspects d’un seul approvisionnement qui ne sont pas préoccupants pour la sécurité nationale. Enfin, il arrive qu’on exempte des biens et des services pour lesquels d’autres exceptions s’appliquent. Par exemple, dans un dossier récent du TCCE portant sur l’ESN et l’approvisionnement en réponse à la pandémie, le TCCE a songé à l’ampleur de l’exception générale. Il a noté que l’utilisation de l’ESN pour les biens/services liés à la pandémie pourrait ne pas s’appliquer. Dans le rapport, il est dit que « toute exception aux règles commerciales reconnues appliquée à l’achat de fournitures liées à la pandémie devrait être invoquée, non sous le couvert d’une exception de sécurité nationale, mais plutôt aux termes des exceptions aux accords commerciaux ayant trait à la protection de la vie et de la santé des personnesNote de bas de page 76 ».

COVID-19

En réponse à la pandémie de COVID-19, le gouvernement fédéral a invoqué une ESN générale pour tous les approvisionnements s’y rattachant « jusqu’à ce que l’Organisation mondiale de la Santé déclare que la pandémie de COVID-19 ne soit plus une urgence de santé publique de portée internationaleNote de bas de page 77 ».

Invoquer l’ESN a entraîné le retrait de l’obligation de non-discrimination. Par conséquent, on a invoqué la Politique sur le contenu canadienNote de bas de page 78. Cette politique limite, dans certaines circonstances, « la concurrence pour les marchés publics aux fournisseurs de biens et de services canadiensNote de bas de page 79 ». Dans certains cas, lorsque deux soumissions ou plus sont reçues de fournisseurs canadiens certifiés, les soumissions provenant de l’étranger n’ont pas à être prises en compteNote de bas de page 79.

Depuis son invocation en réponse à la pandémie, l’ESN a mené à des procès devant le TCCE. Une plainte marquante est celle de Vesta Health Systems Inc., qui a démontré que le TCCE joue un rôle limité dans l’examen des approvisionnements liés à l’ESN depuis la modification de 2019. Dans le litige opposant Vesta Health Systems Inc. et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, le TCCE a ouvert une enquête. Peu après, le ministère acheteur a déposé une requête pour qu’on rejette la plainte pour motif de sécurité nationaleNote de bas de page 77. Bien que l’ESN ait été dûment invoquée, le TCCE a attribué les frais au plaignant au motif que les documents d’approvisionnement ne faisaient pas mention de l’exception. La divulgation de l’exception a été jugée « inopportune »Note de bas de page 80.

La réponse face à la COVID-19 est unique du fait qu’elle combinait les enjeux en matière de sécurité nationale et une intervention d’urgence. Ce chevauchement de l’ESN et de l’approvisionnement d’urgence est rareNote de bas de page 81. Généralement, le facteur qui empêche que ce chevauchement se produise est le fait que les approvisionnements liés à l’ESN sont habituellement connus à l’avance et prévus. Or, pour qu’un approvisionnement soit assujetti à des dispositions d’urgence, l’événement ayant précipité le besoin doit avoir été imprévisibleNote de bas de page 82.

Dans le contexte de la COVID-19, tant l’ESN que les exceptions pour approvisionnement d’urgence du RME s’appliquaient aux approvisionnements. Comme il a été mentionné, l’ESN permet aux fonctionnaires d’exempter un approvisionnement des obligations des accords commerciaux, sans nuire aux obligations des règlements et des politiques d’approvisionnement nationaux. Les autorisations prévues pour les exceptions pour approvisionnement d’urgence sont présentes à la fois dans les accords commerciaux du Canada et dans le RMENote de bas de page 83. Les conséquences de ce chevauchement de l’ESN et de l’approvisionnement d’urgence qui s’est produit dans le cadre de la réponse à la pandémie de COVID-19 pour l’équité, l’ouverture et la transparence ont été importantes.

Contrairement à l’ESN, le RME permet d’utiliser une exception à l’exigence de lancer un appel d’offres pour une situation d’urgenceNote de bas de page 84. Pour ces situations, où « un retard serait préjudiciable à l’intérêt public », les approvisionnements peuvent être confiés à un fournisseur précisNote de bas de page 85. Par conséquent, non seulement les ministères étaient autorisés à mettre de côté les obligations des accords commerciaux exigeant de fournir un avis pour les marchés et les contrats attribués par l’invocation de l’ESN, ils pouvaient également confier les contrats à des fournisseurs spécifiques en vertu de l’exception pour approvisionnement d’urgence.

Toutefois, malgré ces répercussions, l’EOT pourraient tout de même être favorisées par quelques facteurs : par la documentation sur l’ensemble des décisions, les énoncés des travaux et les produits livrables, et dans les cas où une situation d’extrême urgence permet quand même de mener un processus concurrentiel, par la création de critères mesurables et bien définis, et la documentation des évaluations des soumissions.

L’invocation simultanée de l’ESN et des dispositions pour approvisionnement d’urgence du RME est unique. Réduire les règles doit se faire avec la plus grande prudence et la plus grande probité chez ceux qui effectuent les approvisionnements. Ainsi, il est impératif de consigner toutes les décisions, pour faire en sorte qu’une piste de vérification soit créée.

Aspects à prendre en compte

Utilisation ciblée et proportionnelle de l’exception relative à la sécurité nationale

Les accords commerciaux fournissent aux ministères la flexibilité nécessaire pour exempter un approvisionnement de certaines obligations tout en laissant les autres obligations intactesNote de bas de page 86, ce qui permet une utilisation ciblée et proportionnelle de l’ESN, en fonction de l’approvisionnement.

Le TCCE encourage l’utilisation ciblée de l’ESN, ce qui laisse entendre que les accords commerciaux eux-mêmes encouragent une approche plus restrictiveNote de bas de page 87. Dans une décision de 2016, le TCCE a écrit que « les termes des accords commerciaux laissent entendre que l’institution fédérale ne devrait restreindre l’application des obligations prévues dans les accords commerciaux seulement dans la mesure nécessaire pour préserver la sécurité nationale en tenant compte des particularités du marché public en causeNote de bas de page 88 [non souligné dans l’original] ». Le TCCE ajoute que « l’invocation de la sécurité nationale est une exception au principe de libre concurrence, qui est un aspect fondamental des accords commerciaux. Le recours à cette exception doit être exercé avec circonspection et doit se limiter aux cas où celle-ci est vraiment nécessaire pour préserver la sécurité nationaleNote de bas de page 88 ».

Indication dans tous les documents d’invitation à soumissionner que le marché est assujetti à une exception relative à la sécurité nationale

Les accords commerciaux n’exigent pas que l’invocation de l’ESN soit annoncée dans la demande de soumissions. De plus, le TCCE a confirmé que l’ESN peut être invoquée à tout moment avant l’attribution du contratNote de bas de page 89. Le TCCE a fait observer que « le processus d’approvisionnement serait certainement plus transparent et équitable si les ESN étaient publiées en temps opportun dans les documents d’invitation à soumissionnerNote de bas de page 90 ». Dans les cas où l’ESN est invoquée une fois que le processus d’invitation à soumissionner a été entamé, la publication pourrait se faire par l’entremise d’une modification. Toutefois, cela devrait être fait pour tous les cas où l’invocation est connue à l’avance.

Cet aspect à prendre en compte ne doit pas être confondu avec la divulgation publique de renseignements sensibles. Inclure dans les documents d’invitation à soumissionner un avis indiquant qu’une ESN a été invoquée favorise l’EOT, car tant les fournisseurs que les organismes de recours sont alors informés des règles qui régissent l’approvisionnement. Cela représente une économie de temps et d’efforts, à la fois pour les fournisseurs qui autrement pourraient déposer une plainte et les organismes chargés d’examiner une plainte. Dans le Guide des approvisionnements, SPAC a fait de cet élément une exigence pour tous les approvisionnements pour lesquels l’ESN a été invoquée (au moment de la demande de soumissions). Toutefois, cette exigence ne s’étend pas aux autres ministères où l’autorité contractante n’est pas le personnel du Programme des approvisionnements de SPACNote de bas de page 16

Les ministères ont la possibilité de créer des garde-fous

Les ministères ont la possibilité d’élaborer des politiques internes pour guider l’utilisation de l’ESN, comme SPAC l’a fait avec son guide des approvisionnements. Bien que la politique ministérielle ne s’applique qu’à un seul ministère, les pratiques peuvent être communiquées et adoptées. Avec la mise en œuvre de la nouvelle directive sur la gestion de l’approvisionnement, les ministères bénéficieront d’une discrétion accrue lorsque viendra le temps d’élaborer les pratiques d’approvisionnement.

Annexe A : Accords commerciaux du Canada

Le Canada est signataire de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) avec les provinces et les territoires.

Remarque : L’ALEC a remplacé l’Accord sur le commerce intérieur (PDF) (disponible en anglais seulement) (ACI) le 1er juillet 2017. L’ACI continue de s’appliquer aux marchés conclus avant le 1er juillet 2017, jusqu’à ce que ces marchés soient terminés.

Le Canada est également signataire de plusieurs accords commerciaux internationaux :

  1. Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG);
  2. Accord révisé sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce (AMP-OMC);
  3. Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP);
  4. Accord de libre-échange Canada-Chili (ALECC);
  5. Accord de libre-échange Canada-Colombie; (ALECCO)
  6. Accord de libre-échange Canada-Honduras (ALECH);
  7. Accord de libre-échange Canada-Corée(ALECRC);
  8. Accord de libre-échange Canada-Panama (ALECPA);
  9. Accord de libre-échange Canada-Pérou (ALECP);
  10. Accord de continuité commerciale entre le Canada et le Royaume-Uni (ACC Canada–Royaume-Uni);
  11. Accord de libre-échange Canada-Ukraine (ALECU)

Remarque : L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) a remplacé l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) le 1er juillet 2020. Les obligations de l’ACEUM en matière de marchés publics ne s’appliquent pas au Canada. L’ALENA continue de s’appliquer aux marchés conclus avant le 1er juillet 2020, jusqu’à ce que ces marchés soient terminés.

Source : 1.25.1 Accords commerciaux nationaux et internationaux Accords – Achatsetventes.gc.ca

Annexe B : L’exception relative à la sécurité nationale aux États-Unis

L’utilisation de l’ESN aux États-Unis est assez différente de l’utilisation qu’en fait le Canada. Certaines différences valent la peine d’être soulignées : comment l’exception se matérialise dans les règlements fédéraux; justifications et approbations; responsabilisation.

Les accords commerciaux sont des lois internationales qui permettent aux signataires de ces accords de recourir à certaines exceptions, une étant la sécurité nationale. Viennent ensuite les règlements nationaux, qui dictent comment l’approvisionnement fédéral doit se faire à l’intérieur des frontières nationales. Par exemple, le Federal Acquisition Regulations (FAR) renferme les règles qui régissent l’approvisionnement fédéral aux États-Unis. Au Canada, lorsque l’ESN exempte un marché des obligations des accords commerciaux, il n’y a pas d’exception aux règlements nationaux. Il y a néanmoins un ensemble de règles (par exemple, Règlement sur les marchés de l’État) qui doit être respecté. C’est à ce niveau que le Canada diffère des États-Unis.

Aux États-Unis, l’ESN comporte deux volets. Le premier volet est lorsque l’ESN exempte un marché des obligations des accords commerciaux. Le deuxième volet est lorsqu’il existe une ESN dans le FAR, ESN qui exempte le marché de l’exigence d’une concurrence libre et ouverteNote de bas de page 91. Au Canada, l’ESN ne fournit pas une exemption à une concurrence libre et ouverte; les organismes acheteurs doivent avoir un autre motif pour restreindre la concurrence ou faire appel à un fournisseur uniqueNote de bas de page 92. Aux États-Unis, cette exemption à la concurrence peut être compensée par des justifications plus robustes et des examens du Government Accountability Office (GAO).

Aux États-Unis, utiliser l’ESN pour limiter la concurrence nécessite des justifications et des approbations écrites établies au début du processus d’approvisionnementNote de bas de page 91. Le document sur les justifications et les approbations est décrit en détail dans le FAR. Plusieurs aspects doivent être inclus ou pris en compte par l’autorité contractanteNote de bas de page 91. Parmi les principaux aspects : faits suffisants justifiant le recours à l’outil; organisme et activité de passation de contrats; description de l’action approuvée; description des biens/services requis, avec les coûts estimatifs; détermination de l’autorisation légale utilisée pour restreindre la concurrence libre et ouverte; démonstration que l’approvisionnement nécessite l’utilisation de l’autorisation citéeNote de bas de page 93. Dans la plupart des cas, cette justification est rendue publique dans les quatorze (14) jours suivant l’attribution du contratNote de bas de page 94. Toutefois, lorsque la divulgation de cette information compromet la sécurité nationale, cette obligation ne s’applique pasNote de bas de page 94.

Utiliser une ESN n’empêche pas les organismes de contrôle d’examiner l’approvisionnement. Aux États-Unis, ce rôle de surveillance est assuré par le GAO. Le GAO peut remettre en question l’utilisation d’une ESN par le ministère et enquêter sur cette utilisationNote de bas de page 95. Toutefois, peu importe le cas, sa capacité à juger de l’utilisation de l’ESN repose sur le document sur les justifications et les approbations. Le GAO a fait observer que : « lorsque le document sur les justifications et les approbations fournit des motifs raisonnables pour justifier les actions de l’organisme, nous ne nous opposons pas à l’attributionNote de bas de page 96 ».

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