Force Majeure

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1.0 Introduction

1.1 Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement

Le Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement (BOA) est une organisation du gouvernement du Canada neutre et indépendante, qui travaille en collaboration avec les ministères fédéraux et les entreprises canadiennes pour promouvoir l’équité, l’ouverture et la transparence de l’approvisionnement fédéral. Le BOA s’acquitte de ce mandat en établissant des liens entre les intervenants, en étudiant des plaintes, en réglant les problèmes, en formulant des recommandations et en communiquant les bonnes pratiques.

Le BOA :

  • Examine les pratiques d’acquisition de matériel et de services des ministères fédéraux pour en évaluer l’équité, l’ouverture et la transparence, et présente, le cas échéant, au ministère en cause des recommandations pour les améliorer;
  • Examine toute plainte relative à l’attribution d’un contrat d’acquisition de matériel d’une valeur inférieure à 26 400 $ et de services d’une valeur inférieure à 105 700 $ lorsque les critères de l’Accord de libre-échange canadien s’appliqueraient.
  • Examine toute plainte relative à la gestion de tout marché en vue de l’acquisition de matériel ou de services par un ministère, peu importe la valeur du marché;
  • Veille à offrir un mécanisme de règlement extrajudiciaire des différends, lorsque les deux parties concernées conviennent d’y participerNote de bas de page 1.

En 2018, le BOA a lancé une initiative d’approfondissement et de partage des connaissances (APC) pour mieux comprendre les principaux problèmes touchant l’approvisionnement fédéral. Par la publication d’études d’APC, le BOA compte diffuser des connaissances et fournir des directives utiles aux intervenants de l’approvisionnement fédéral.

1.2 But de l’étude

La présente étude a été entreprise pendant la pandémie de COVID-19 dans le but d’aider les parties à un contrat fédéral à comprendre les éléments clés d’une clause de force majeure et à expliquer son utilité tant en temps normal qu’en situation de crise.

La force majeure est pertinente dans le contexte de la pandémie de COVID-19, car les perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale ont eu, et devraient avoir, pour effet de mettre de nombreux entrepreneurs dans l’incapacité de remplir leurs obligations contractuelles, et nombre de ces entrepreneurs pourraient chercher à obtenir une exemption de leurs obligations contractuelles par l’entremise de ce type de clause. La présente étude a également pour but d’informer la collectivité de l’approvisionnement fédéral (acheteurs et fournisseurs) sur le cadre juridique de la clause de force majeure. Il est important de noter que la présente étude traitera de la force majeure dans un contexte de common law uniquement.

La présente étude ne constitue pas un avis juridique et ne doit pas être considérée à ce titre. L’utilisateur s’y fie à ses propres risques.

1.3 Méthode d’élaboration

La présente étude est fondée sur un examen de la documentation juridique, de cas, d’articles publiés par des cabinets d’avocats et des clauses de force majeure contenues dans le Guide des clauses et conditions uniformisées d’achat (CCUA) de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC)Note de bas de page 2. Le Guide des CCUA comprend plusieurs clauses de « retard justifiable » qui, collectivement, représentent le modèle de langage du gouvernement fédéral pour les clauses de force majeure, dont l’une est examinée à la section 5 de la présente étudeNote de bas de page 3.

2.0 La force majeure expliquée

La force majeure est une clause contractuelle destinée à [traduction] « protéger les parties contre les événements qui ne relèvent pas du risque commercial normalNote de bas de page 4 ». Cette clause peut servir à gérer le risque d’événements futurs imprévisibles qui pourraient avoir une incidence sur la capacité d’une partie à remplir ses obligations contractuellesNote de bas de page 5, Note de bas de page 6. Elle vise à aider une partie à un contrat lorsqu’un événement imprévu et indépendant de sa volonté se produit et la met dans l’incapacité d’exécuter ses obligations contractuellesNote de bas de page 5. La clause de force majeure est parfois appelée clause d’« acte de la nature » ou clause de « retard justifiable »Note de bas de page 2, Note de bas de page 3, Note de bas de page 5. Les événements de force majeure ou d’« acte de la nature » comprennent par exemple une épidémie, une inondation, un tremblement de terre ou un incendieNote de bas de page 7.

2.1 La clause de force majeure comparée à la doctrine de l’impossibilité

La force majeure fait souvent l’objet de discussions de concert avec le concept juridique de l’impossibilité d’exécution, car les deux supposent la survenance d’événements qui interrompent les parties au cours de l’exécution du contrat et qui laissent une partie au contrat dans l’incapacité d’exécuter sa ou ses obligations contractuelles. En tant que concepts juridiques, la force majeure et la doctrine de l’impossibilité d’exécution sont similaires, mais distinctes, par nature. La force majeure est une clause contractuelle destinée à [traduction] « protéger les parties contre les événements extérieurs qui ne relèvent pas du risque commercial normalNote de bas de page 4 ». À l’inverse, la doctrine de l’impossibilité d’exécution, ou simplement de l’inexécutabilité, est invoquée lorsqu’un événement imprévisible, qui n’est imputable à aucune des parties, rend l’exécution d’un contrat impossible ou radicalement différente de ce qui avait été convenuNote de bas de page 8.

Contrairement à la force majeure, il y a impossibilité d’exécution lorsque les parties n’ont pas prévu d’événements déclencheurs dans les modalités du contratNote de bas de page 5. La partie qui ne peut pas remplir ses obligations peut alors vouloir résilier le contrat en invoquant l’impossibilité d’exécution. Si une action intentée pour impossibilité d’exécution est accueillie par un tribunal, le contrat est considéré comme inexécutable, ce qui entraîne l’annulation de toutes les obligations contractuellesNote de bas de page 9.

Par contre, en cas de force majeure, la partie peut avoir le droit de suspendre l’exécution ou de demander une prolongation de délai jusqu’à ce qu’elle puisse exécuter les obligations prévues par le contratNote de bas de page 5. Lorsque le contrat ne contient pas de clause de force majeure, les parties peuvent se fonder uniquement sur la doctrine de l’impossibilité d’exécution pour être libérées de leurs obligations contractuelles et ne peuvent obtenir la résiliation du contrat qu’en conséquence.

Tant pour la force majeure que pour la doctrine de l’impossibilité d’exécution, si les concepts sont portés devant les tribunaux, il incombe à la partie qui les invoque de prouver les éléments nécessairesNote de bas de page 5, Note de bas de page 9.

Voir l’annexe 1 pour une comparaison plus détaillée entre une clause de force majeure et la doctrine de l’impossibilité d’exécution.

3.0 Avantages de la force majeure

Le principal avantage d’une clause de force majeure dans un contrat (par opposition à l’impossibilité d’exécution) est qu’elle donne aux parties un certain degré de contrôle sur (1) la sélection ou l’exclusion des événements déclencheurs; (2) la gravité de l’incidence sur une partie qui invoque la clause; et (3) l’effet que la clause aura sur les obligations contractuelles de la partie qui l’invoqueNote de bas de page 10, Note de bas de page 11.

Une rédaction soignée de la clause de force majeure peut minimiser la possibilité de différends ou de litigesNote de bas de page 12. Il convient de prendre en considération le type particulier de contrat, les parties participantes et le contexte commercialNote de bas de page 12. Dans un contexte commercial privé, les deux parties participent au processus de rédaction, ce qui leur donne le pouvoir d’adapter le contrat à une transaction, à une industrie et à un objectif particuliers, tout en répartissant les risquesNote de bas de page 13. Entre le gouvernement fédéral canadien et un fournisseur, des clauses de retard justifiable sont prévues dans le Guide des CCUA. Sauf dans le cas d’une demande de propositions négociée (DPN), le fournisseur n’a aucun contrôle sur le texte type de la clause de retard justifiable dans un contrat fédéral, mais la clause offre toujours l’avantage que le contrat n’est pas nécessairement résilié à la suite de l’événement déclencheur.

4.0 Interprétation et anatomie d’une clause de force majeure

Une clause de force majeure doit répondre aux trois questions suivantes :

  1. Qu’est-ce qui constitue un événement déclencheur?Note de bas de page 4
  2. Quelle incidence ces événements doivent-ils avoir sur une partie qui invoque la clause?Note de bas de page 4
  3. Quel effet l’invocation de la clause doit-elle avoir sur l’obligation contractuelle?Note de bas de page 4

4.1 Qu’est-ce qui constitue un événement déclencheur?

Une clause de force majeure doit indiquer les événements imprévisibles qui déclencheraient l’application de la clause et apporteraient un allégement. Ces événements déclencheurs peuvent être indiqués de différentes façons :

  1. liste d’événements particuliers;
  2. déclaration générale (clause omnibus, langage inclusif ou formulation fourre-tout); ou
  3. combinaison de (a) et de (b).

La liste des événements déclencheurs peut être adaptée pour inclure des événements propres à la partie, au contrat, à la région ou à l’industrieNote de bas de page 11. Par exemple, si l’objet du contrat est le transport, l’indisponibilité de l’approvisionnement en carburant pourrait être répertoriée comme un événement déclencheur. En outre, les parties peuvent personnaliser la clause de force majeure en incluant un événement qui ne se qualifierait normalement pas à titre de source d’impossibilité d’exécution en vertu de la common law, ou en excluant un événement qui s’y qualifierait normalementNote de bas de page 14. Une clause de force majeure personnalisée et adaptée à l’objet du contrat est susceptible d’être avantageuse pour les parties.

Selon la littérature, il convient de trouver un équilibre entre le détail et la généralité dans la clause, ce qui signifie que la clause doit comprendre les deux parties suivantes : (1) une liste non exhaustive, mais suffisante d’événements déclencheurs détaillés; et (2) une déclaration généraleNote de bas de page 15. Lorsqu’une liste détaillée et une clause générale sont combinées, la règle d’interprétation ejusdem generis exigera que la clause générale s’applique uniquement aux éléments similaires à ceux indiqués dans la liste détailléeNote de bas de page 16. La formulation latine du principe ejusdem generis se traduit par « du même genre ». Lorsque le libellé général suit le libellé particulier dans une liste, le principe exige que l’interprétation du libellé général soit limitée aux choses de même nature que celles mentionnées dans le libellé particulierNote de bas de page 18.

Voici quelques exemples d’événements déclencheurs courants [traduction] :

  1. « actes de la nature, glissement de terrain, inondation, tempête, lessivage, incendie, foudre, catastrophe et tremblement de terre;
  2. actions des autorités militaires, navales ou civiles, de la Reine ou d’un ennemi public, guerre, révolution, troubles politiques et terrorisme;
  3. troubles publics;
  4. expropriation, actes de restriction d’un organisme ou d’une autorité gouvernementale, et défaut d’obtenir un permis ou une autorisation requis de la part d’une autorité gouvernementale en raison d’un acte, d’une loi ou d’un décret, ou d’un règlement ou d’un arrêté adopté ou pris en vertu de ceux-ci, ou en raison d’un ordre ou d’une directive d’un administrateur, d’un contrôleur ou d’un conseil, ou d’un ministère ou d’un agent gouvernemental ou d’une autre autorité, ou en raison de l’impossibilité d’obtenir une permission ou une autorité requise par ceux-ci;
  5. retard inhabituel des transporteurs publics;
  6. sabotage, rébellion, vandalisme, émeute, blocus, insurrection, grève, lock-out et explosion;
  7. panne d’électricité et non-disponibilité de la main-d’œuvre, des matériaux, de l’équipement, des biens ou des services publics; et
  8. épidémie et quarantaineNote de bas de page 7. »

Dans un contexte commercial privé, l’affaire Atcor Ltd. c. Continental Energy Marketing Ltd. fournit un exemple de clause de force majeure contenant à la fois une liste d’événements particuliers et une déclaration générale, selon la recommandation figurant ci-dessusNote de bas de page 4. Toutefois, cette clause a été critiquée par la Cour d’appel de l’Alberta qui l’a jugée trop large et englobante, au point de vouloir en faire une clause échappatoire. Comme il a été mentionné précédemment, une bonne clause de force majeure doit inclure une liste personnalisée et non exhaustive d’événements déclencheurs combinée à une déclaration générale, plutôt que d’essayer de couvrir toutes les possibilités imaginables.

4.2 Quelle incidence ces événements doivent-ils avoir sur une partie qui invoque la clause?Note de bas de page 4

Après avoir établi qu’un événement déclencheur correspond à la définition exigée par la clause de force majeure, la partie qui invoque la clause [traduction] « doit démontrer que l’événement de force majeure a eu une incidence sur la capacité de la partie à exécuter ses obligations contractuellesNote de bas de page 17 ». Par conséquent, la partie doit déterminer si l’exécution du contrat est impossible.

Lorsqu’un événement déclencheur inclus dans une clause de force majeure s’est produit, il convient de déterminer l’incidence sur les parties au contrat. Chaque partie doit considérer les conséquences associées à l’événement ou aux événements déclencheurs et ses obligations relatives à la survenance de l’événementNote de bas de page 18, Note de bas de page 19. Si l’événement a une incidence sur la capacité des parties contractantes à s’acquitter de leurs obligations contractuelles, la clause peut vraisemblablement être invoquée, car les activités ne peuvent pas suivre leur cours normalNote de bas de page 19.

4.3 Quel effet l’invocation doit-elle avoir sur l’obligation contractuelle?Note de bas de page 4

Contrairement à la doctrine de l’impossibilité d’exécution, dont le seul résultat est la résiliation du contrat, une clause de force majeure permet souvent un résultat moins radical. Une clause de force majeure doit inclure un résultat souhaité ou un résultat sur lequel peut s’appuyer la partie qui invoque la clauseNote de bas de page 20, Note de bas de page 21. L’issue ou le résultat souhaité ne peut être envisagé que lorsqu’un événement déclencheur s’est produit et qu’il est impossible pour une partie d’exécuter ses obligations contractuelles dans le cadre du contratNote de bas de page 21, Note de bas de page 23. Les issues ou résultats types que la force majeure permet aux parties sont les suivants : prolonger le délai du contrat, suspendre le contrat jusqu’à ce que l’exécution soit possible, baisser ou augmenter les prix, ou ajuster les coûts en généralNote de bas de page 21, Note de bas de page 23.

4.4 Considérations supplémentaires lors de l’invocation d’une clause de force majeure

Certaines considérations supplémentaires sont importantes lorsqu’on invoque une clause de force majeure, comme les exigences en matière de notification et de preuve. Souvent, la notification est une condition préalable obligatoire pour invoquer la clause. Si de la documentation justificative est mentionnée comme une exigence dans le cadre du contrat, cette documentation doit être fournie. La clause doit préciser le moment auquel la notification doit être faite ou celui auquel les pièces justificatives doivent être fournies.

La partie qui cherche à invoquer la clause de force majeure a probablement le devoir d’atténuer son incapacité à exécuter ses obligations contractuelles. Si la partie qui demande un allégement au titre de la force majeure ne prend pas de mesures raisonnables pour atténuer les effets de la situation, le tribunal peut ne pas appliquer la clauseNote de bas de page 5. Par conséquent, lorsque l’événement déclencheur est l’approvisionnement insuffisant, mais que l’article requis est disponible auprès d’une autre source (même si l’article est plus coûteux), la partie contractante peut ne pas être en mesure d’invoquer la clause de force majeure. Lors d’un litige, le tribunal tiendra compte du degré de contrôle de la partie sur sa situation, et des possibilités qu’elle a de l’atténuer.

[Traduction] « Lorsqu’une partie invoque une clause de force majeure, le tribunal lui impose une obligation d’atténuation avant de permettre à la partie qui l’invoque de voir ses obligations contractuelles suspendues. Si la partie peut atténuer ses effets d’une manière commercialement raisonnable, elle est tenue de le faire et ne peut pas invoquer la clause de force majeure pour suspendre ses obligationsNote de bas de page 22. »

[Traduction] « (L) e recours à une clause de force majeure sera autorisé lorsque la partie contractante ne peut exercer un quelconque degré de contrôle sur les circonstances auxquelles elle est confrontée, ou raisonnablement recourir à d’autres solutions pour permettre l’exécutionNote de bas de page 5, Note de bas de page 23. »

L’assurance est une autre considération relative à la force majeure, car elle permet à une partie d’exercer son devoir d’atténuation. Les parties doivent examiner les risques qui peuvent être assurés en fonction des spécificités de leur contrat et envisager de souscrire une assurance pour couvrir ces risques. Le produit de l’assurance aidera la partie qui invoque la clause de force majeure à atténuer ses pertes. Par conséquent, la partie pourra probablement compter sur le produit de l’assurance pour lui permettre de poursuivre ses activités.

Les tribunaux canadiens ont conclu que même si un événement est un cas de force majeure et que son incidence sur le fournisseur est couverte par la clause, ce n’est peut-être pas suffisant pour garantir l’application de la clause de force majeure. Dans l’affaire Atlantic Paper Stock Ltd c. St Anne Nackawic Pulp & Paper Co. de 1976, la Cour suprême du Canada a conclu que l’absence de marchés pour la pâte à papier ou le carton ondulé ne suffisait pas à libérer une partie de ses obligations contractuelles, puisque la partie n’avait pas rempli son devoir d’atténuationNote de bas de page 24, Note de bas de page 5. Les entrepreneurs qui cherchent à invoquer la clause de force majeure doivent s’assurer qu’ils ont épuisé toutes les options pour assurer l’exécution du contrat, sinon la force majeure pourrait ne pas s’appliquerNote de bas de page 5.

Aujourd’hui, peu de cas illustrent la façon dont les tribunaux canadiens ont interprété la clause de force majeure en common lawNote de bas de page 25. L’absence de jurisprudence s’explique peut-être par les clauses d’arbitrage. Les clauses de force majeure et d’arbitrage semblent exister ensemble dans de nombreux contratsNote de bas de page 30.

5.0 Clauses de force majeure dans les contrats d’approvisionnement fédéraux : Retard justifiable

Les contrats du gouvernement fédéral intègrent généralement des clauses normalisées du Guide des CCUA. Ces contrats utilisent le titre de « retard justifiable » plutôt que celui de force majeure pour décrire ce qui est autrement connu comme une clause de force majeureNote de bas de page i. Ces clauses types comprennent souvent une disposition relative au retard justifiable qui traite des problèmes d’exécution dus à un événement imprévisible et indépendant de la volonté des partiesNote de bas de page 3. Un exemple de clause de retard justifiable tirée du Guide des CCUA est le 2030 11 (2014-09-25) Retard justifiableNote de bas de page ii (clause de retard justifiable du Guide des CCUA); cette clause est incluse dans son intégralité à l’annexe 2.

En partie, la clause de retard justifiable du Guide des CCUA stipule ce qui suit :

« 1. Le retard de l’entrepreneur à s’acquitter de toute obligation prévue au contrat à cause d’un événement qui :

  1. est hors du contrôle raisonnable de l’entrepreneur;
  2. ne pouvait raisonnablement avoir été prévu;
  3. ne pouvait raisonnablement avoir été empêché par des moyens que pouvait raisonnablement utiliser l’entrepreneur; et
  4. est survenu en l’absence de toute faute ou négligence de la part de l’entrepreneur,

sera considéré comme un « retard justifiable » si l'entrepreneur informe l'autorité contractante de la survenance du retard ou de son éventualité dès qu'il en prend connaissance. L'entrepreneur doit de plus informer l'autorité contractante, dans les 15 jours ouvrables, de toutes les circonstances reliées au retard et soumettre à l'approbation de l'autorité contractante un plan de redressement clair qui détaille les étapes que l'entrepreneur propose de suivre afin de minimiser les conséquences de l'événement qui a causé le retardNote de bas de page 2. »

L’application des trois questions mentionnées à la section 4.0 précédente à cette clause de retard justifiable du Guide des CCUA révèle ce qui suit :

1. Qu’est-ce qui constitue un événement déclencheur?

La clause de retard justifiable du Guide des CCUA ne contient pas de liste d’événements particuliers ni d’énoncé général (clause omnibus, langage inclusif ou formulation fourre-tout). Plutôt qu’une liste, la clause utilise le terme général « événement » combiné à quatre conditions générales [notamment 1 (a), (b), (c) et (d) énoncées précédemment] pour décrire le type d’événements qui pourraient déclencher un retard justifiableNote de bas de page 2.

2. Quelles répercussions ces événements doivent-ils avoir sur la partie qui invoque la clause?Note de bas de page 4

Retarder l’exécution des travaux en vertu de la clause de retard justifiable du Guide des CCUA offre un avantage à l’entrepreneur seulement. Cet avantage n’est pas offert à l’autorité contractante. Pour déclencher la clause, l’événement doit non seulement remplir les quatre conditions [plus précisément 1 (a), (b), (c) et (d) énoncées précédemment], mais également causer un retard dans l’exécution des obligations de l’entrepreneur dans le cadre du contrat.

3. Quel effet l’invocation de la clause doit-elle avoir sur l’obligation contractuelle?Note de bas de page 4

En vertu de la clause de retard justifiable du Guide des CCUA, l’invocation de cette clause a pour effet de reporter les dates de livraison contractuelles d’un délai raisonnable qui ne dépasse pas la période de retard.

Autres facteurs à noter concernant la clause de retard justifiable du Guide des CCUA :

  • Pour bénéficier de cette clause, l’entrepreneur doit notifier le retard ou la probabilité de retard dès qu’il en a connaissance. En outre, dans un délai de 15 jours ouvrables, l’entrepreneur doit :
    • informer l’autorité contractante de toutes les circonstances relatives au retard;
    • fournir à l’autorité contractante un plan de redressement (pour approbation) qui détaille les étapes que l’entrepreneur propose de suivre afin de minimiser les conséquences de l’événement qui a causé le retardNote de bas de page 2.
  • Si le retard se poursuit pendant 30 jours ou plus, alors que la prestation de l’entrepreneur sera encore retardée, l’autorité contractante peut (par avis à l’entrepreneur) résilier le contrat. Dans un tel cas, aucune des deux parties ne peut présenter de réclamation contre l’autre. Si le contrat est résilié par l’autorité contractante, la clause définit les modalités de clôture du contratNote de bas de page 2.

5.1 Clause de force majeure dans le contexte de la pandémie de COVID-19

De manière générale, la pandémie de COVID-19 pourrait constituer un événement imprévisible aux fins d’une clause de force majeure si elle est considérée comme échappant au contrôle des deux parties au contratNote de bas de page 26, Note de bas de page 27. Pour constituer un cas de force majeure, l’événement imprévisible doit être la cause directe de l’impossibilité pour la partie de remplir ses obligations contractuellesNote de bas de page 3, Note de bas de page 26, Note de bas de page 28.

Selon la clause de retard justifiable du Guide des CCUA, un retard justifiable doit être causé par un « événement » qui est hors du contrôle raisonnable de l’entrepreneur, qui n’aurait pas pu être raisonnablement prévu, qui ne pouvait raisonnablement avoir été empêché par des moyens que pouvait raisonnablement prendre l’entrepreneur et qui est survenu en l’absence de toute faute ou négligence de la part de l’entrepreneurNote de bas de page 2. La question est la suivante : le tribunal considérerait-il la pandémie de COVID-19 comme un « événement » répondant à ces critères?

Pour les contrats conclus avant le début de la pandémie de COVID-19, la pandémie pourrait constituer un « événement » aux termes de la clause de retard justifiable du Guide des CCUA, car on pourrait faire valoir que la pandémie était indépendante de la volonté des parties et qu’elle ne pouvait être prévue ou empêchée. Les autres exigences de la clause en matière de notification et d’atténuation devraient également être respectées; hypothétiquement, la pandémie de COVID-19 pourrait être un « événement » qui répond à ces critères.

Inversement, la pandémie pourrait ne pas constituer un « événement » aux termes de la clause de retard justifiable du Guide des CCUA, car on pourrait faire valoir qu’une pandémie de cette nature était prévisible et que des mesures auraient pu être prises pour prévenir ou atténuer ses conséquences sur la capacité d’un entrepreneur à s’acquitter de ses obligations dans le cadre d’un contrat.

Pour les contrats dans un cadre commercial privé qui contiennent d’autres clauses de force majeure, il est possible que des termes tels que « épidémie » ou « pandémie » figurent dans la liste des événements déclencheurs, auquel cas le déclenchement de la pandémie de COVID-19 pourrait être utilisé avec succès pour invoquer une clause de force majeure.

À l’inverse, si les termes « épidémie » ou « pandémie » (ou toute autre formulation similaire) ne figurent pas dans la liste des événements de force majeure ou sont explicitement exclus de la liste des événements déclencheurs, il devient plus difficile de faire valoir (devant les tribunaux) que l’exécution des obligations contractuelles doit être retardée ou excusée.

Pour les contrats conclus après l’apparition de la pandémie de COVID-19, il devient plus difficile de faire valoir que l’exécution des obligations contractuelles est retardée par un événement qui « ne pouvait raisonnablement avoir été prévuNote de bas de page 26 », comme l’exige la clause de retard justifiable du Guide des CCUA. La même chose s’appliquerait probablement à d’autres clauses de force majeure (dans un cadre commercial privé), à moins que les parties n’aient expressément rédigé leur clause de force majeure pour inclure la pandémie de COVID-19 comme événement déclencheur qui les dispenserait d’exécuter leurs obligations contractuelles.

En fin de compte, la question de savoir si la pandémie de COVID-19 constitue un cas de force majeure est une question d’interprétation, ce qui confère la plus haute importance à la formulation utilisée dans les clauses de force majeure et de retard justifiable.

Voici les considérations dont il faut tenir compte :

  • Dans le contexte des contrats fédéraux, les fournisseurs n’auront généralement pas à rédiger une clause de force majeure ou de retard justifiable, car ces clauses sont présentées sous forme de modèles dans le Guide des CCUA (par exemple, la clause de retard justifiable du Guide des CCUA est présentée intégralement à l’annexe 2).
  • Si les parties veulent éviter d’avoir à invoquer la doctrine de l’impossibilité d’exécution, elles devraient envisager d’inclure une clause de force majeure dans le contrat afin d’ajouter une certitude et un contrôle en ce qui concerne les événements déclencheurs, les répercussions sur les parties et les résultats si la clause est invoquée.
  • Les clauses de force majeure doivent être rédigées de manière à ce que les deux parties en tirent profit.
  • Lorsqu’elles dressent la liste des événements déclencheurs ou des événements à exclure des clauses de force majeure, les parties doivent prendre en compte des facteurs tels que l’objet du contrat, le lieu d’exécution et le secteur d’activité concerné (par exemple, l’indisponibilité de l’approvisionnement en carburant pour un contrat de transport).
  • Lorsqu’elles énumèrent des événements déclencheurs particuliers en plus d’une clause générale, les parties doivent veiller à éviter une situation où la liste des événements particuliers est si large qu’elle ressemble à une clause échappatoire, selon l’affaire Atcor dont il est question ci-dessus à la section 4.1.
  • Les parties doivent tenir compte de l’obligation d’atténuation qui pèse sur la partie qui cherche à obtenir le report ou l’exonération de ses obligations contractuelles. Comme l’indique la section 4.4, les entrepreneurs qui cherchent à invoquer la clause de force majeure doivent s’assurer qu’ils ont épuisé toutes les options pour assurer l’exécution du contrat, sinon la force majeure peut ne pas s’appliquer.
  • Les parties doivent envisager de rédiger des clauses de force majeure avec des exigences de notification claires (par exemple, dans un délai X après avoir pris connaissance de l’événement déclencheur) et des mesures d’atténuation claires (par exemple, un plan détaillé pour minimiser les conséquences de l’événement et réduire le retard).
  • Les parties doivent se demander si l’objet et le contexte particuliers de leur contrat justifient une clause de force majeure qui mentionne expressément plusieurs conséquences et résultats possibles (par exemple, différentes conséquences pour différentes situations).
  • Les deux parties doivent tenir compte des risques commerciaux qui ne sont pas assurables et répartir raisonnablement ces risques entre elles.

La présente étude ne constitue pas un avis juridique et ne doit pas être considérée à ce titre. L’utilisateur s’y fie à ses propres risques.

6.0 Demandes de renseignements

Les demandes de renseignements doivent être adressées au :

Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement
410, avenue Laurier O., bureau 400
Ottawa (Ontario)   K1R 1B7
Canada

Téléphone :
1-866-734-5169
Numéro sans frais pour les malentendants :
1-800-926-9105
Courriel :
ombudsman@opo-boa.gc.ca

Annexe 1 : Comparaison entre une clause de force majeure et la doctrine de l’impossibilité d’exécution

Sujet 1 : Est-ce inclus dans le contrat ou exclu?

  • Force majeure : Une clause de force majeure est soit incluse soit non incluse dans un contrat. Si une clause de force majeure n’est pas incluse dans un contrat, le tribunal ne pourra pas interpréter la clause et les parties n’auront que la clause de l’impossibilité d’exécution comme seul recoursNote de bas de page 8, Note de bas de page 9.
  • Doctrine de l’impossibilité d’exécution : Contrairement à une clause de force majeure, la doctrine de l’impossibilité d’exécution n’est pas une clause qui peut être incluse dans un contrat ou exclue du contratNote de bas de page 8, Note de bas de page 29. La doctrine de l’impossibilité d’exécution est un précédent historique établi en common law.
  • Différence : La force majeure est traitée dans le contrat; l’impossibilité d’exécution ne l’est pas.

Sujet 2 : Événement(s) déclencheur(s)

  • Force majeure : Le ou les événements imprévisibles et hors du contrôle de l’une ou l’autre des parties sont envisagés par les parties à l’avance et énoncés dans le contrat comme un événement de force majeureNote de bas de page 30.
  • Doctrine de l’impossibilité d’exécution : Les événements imprévisibles et hors du contrôle de l’une ou l’autre des parties ne sont pas mentionnés dans le contratNote de bas de page 30.
  • Différence : Dans le cas de la force majeure, le ou les événements imprévisibles sont énumérés dans le contrat, mais pas dans le cas de l’impossibilité d’exécution.

Sujet 3 : Incidence requise sur la partie adverse

  • Force majeure : L’événement interrompt l’exécution du contrat par la partie qui évoque la force majeure, ce qui rend l’exécution du contrat impossible à ce moment-là. Certaines clauses de force majeure exigent que la partie qui l’invoque atténue les conséquences de l’événement. La partie qui ne peut pas s’exécuter évite d’être en défaut et a le droit de suspendre l’exécution jusqu’à ce qu’elle puisse remplir ses obligations.
  • Impossibilité d’exécution : L’événement entraîne un changement radical dans l’exécution du contrat pour la partie qui évoque l’impossibilité d’exécution. Le changement radical rend l’exécution, dans les circonstances existantes, impossible parce qu’il va à l’encontre de l’objectif initial de l’accord et qu’il serait injuste pour la partie qui se fie au contrat d’être liée par celui-ci dans les circonstances existantes. L’exécution doit devenir impossible, et pas seulement (a) plus onéreuse, (b) difficile, mais possible, (c) irréalisable, (d) moins avantageuse ou (e) plus coûteuse. L’exécution étant impossible, le contrat devient inexécutable et toutes les obligations sont levées.

Sujet 4 : Recours disponibles

  • Force majeure : La partie a droit à des recours présélectionnés, tels que la suspension de l’exécutionNote de bas de page 31, Note de bas de page 2.
  • Doctrine de l’impossibilité d’exécution : Le contrat est résiliéNote de bas de page 5.
  • Différence : L’impossibilité d’exécution n’a qu’un seul résultat ou issue (la résiliation du contrat), alors qu’en cas de force majeure, les parties peuvent présélectionner les résultats dans leur contrat.

Sujet 5 : Le degré de contrôle des parties sur les événements déclencheurs, les conséquences et les résultats

  • Force majeure : Les parties à un contrat ont un certain degré de contrôle sur les événements déclencheurs en indiquant à l’avance les événements, les conséquences et les résultats dans leur contrat. La clause de force majeure permet aux parties de mieux contrôler le résultat du processus juridique, ce qui signifie que l’issue du processus juridique est plus certaineNote de bas de page 6.
  • Doctrine de l’impossibilité d’exécution : Les parties à un contrat ont moins de contrôle sur les événements déclencheurs et ne prévoient pas les événements déclencheurs dans leur contratNote de bas de page 5. La doctrine de l’impossibilité d’exécution peut être appliquée de nombreuses façons par les tribunaux. Les tribunaux appliqueront probablement la doctrine de l’impossibilité d’exécution de manière étroite, ce qui signifie que le contrôle du résultat est moindre et que l’issue du processus juridique est moins certaineNote de bas de page 30.
  • Différence : En cas d’impossibilité d’exécution, les parties n’ont aucun contrôle sur les événements qui constituent ou non une impossibilité d’exécution, alors qu’en cas de force majeure, les parties ont un certain degré de contrôle et peuvent indiquer à l’avance les événements qui constituent un cas de force majeure.

Annexe 2 : 2030 11 (2014-09-25) Retard justifiableNote de bas de page 2

  1. Le retard de l’entrepreneur à s’acquitter de toute obligation prévue au contrat à cause d’un événement qui :
    1. est hors du contrôle raisonnable de l’entrepreneur;
    2. ne pouvait raisonnablement avoir été prévu;
    3. ne pouvait raisonnablement avoir été empêché par des moyens que pouvait raisonnablement utiliser l’entrepreneur; et
    4. est survenu en l’absence de toute faute ou négligence de la part de l’entrepreneur.

    sera considéré comme un « retard justifiable » si l’entrepreneur informe l'autorité contractante de la survenance du retard ou de son éventualité dès qu'il en prend connaissance. L'entrepreneur doit de plus informer l'autorité contractante, dans les 15 jours ouvrables, de toutes les circonstances reliées au retard et soumettre à l'approbation de l'autorité contractante un plan de redressement clair qui détaille les étapes que l'entrepreneur propose de suivre afin de minimiser les conséquences de l'événement qui a causé le retard.

  2. Toute date de livraison ou autre date qui est directement touchée par un retard justifiable sera reportée d’une durée raisonnable n’excédant pas celle du retard justifiable.
  3. Toutefois, au bout de 30 jours ou plus de retard justifiable, l’autorité contractante peut, par avis écrit à l’entrepreneur, résilier le contrat. Dans un tel cas, les parties conviennent de renoncer à toute réclamation pour dommages, coûts, profits anticipés ou autres pertes découlant de la résiliation ou de l’événement qui a contribué au retard justifiable. L’entrepreneur s’engage à rembourser immédiatement au Canada la portion de toute avance non liquidée à la date de la résiliation.
  4. Le Canada ne sera pas responsable des frais engagés par l’entrepreneur ou l’un de ses sous-traitants ou mandataires par suite d’un retard justifiable, sauf lorsque celui-ci est attribuable à l’omission du Canada de s’acquitter d’une de ses obligations en vertu du contrat.
  5. Si le contrat est résilié en vertu du présent article, l’autorité contractante peut exiger que l’entrepreneur livre au Canada, selon les modalités et dans les mesures prescrites par l’autorité contractante, toutes les parties complétées des travaux qui n’ont pas été livrées ni acceptées avant la résiliation, de même que tout ce que l’entrepreneur a acquis ou produit expressément dans l’exécution du contrat. Le Canada paiera l’entrepreneur :
    1. la valeur, calculée en fonction du prix contractuel, incluant la quote-part du profit ou des honoraires de l’entrepreneur inclus dans le prix contractuel, de l’ensemble de toutes les parties des travaux complétés qui sont livrés et acceptés par le Canada,
    2. le coût de l’entrepreneur que le Canada juge raisonnable en ce qui concerne toute autre chose livrée au Canada et acceptée par ce dernier.

Le total des sommes versées par le Canada en vertu du contrat jusqu’à sa résiliation et toutes sommes payables en vertu du présent paragraphe ne doivent pas dépasser le prix contractuel.

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