Examen d’une plainte : Acquisition de services de formation en matière d’intervention en cas d’inconduite sexuelle par le ministère de la Défense nationale Nouveau

Mars 2023

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La plainte

1. Le 15 septembre 2022, le Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement (BOA) a reçu une plainte écrite d’un fournisseur (le plaignant) concernant un contrat attribué par le ministère de la Défense nationale du Canada (MDN). Le contrat portait sur des services de formation en matière d’intervention en cas d’inconduite sexuelle pour l’Académie canadienne de la défense (ACD). Le contrat a été attribué le 9 septembre 2022 et a été évalué à 46 151,00 $ (hors taxes).

2. Le plaignant a contacté le BOA en indiquant qu’il pensait que le soumissionnaire retenu n’était pas conforme sur la base des documents accessibles au public et que, par conséquent, il n’aurait pas dû se voir attribuer le contrat.

3. Le 21 septembre 2022, le plaignant a soumis un amendement à sa plainte initiale au BOA, déclarant qu’il estimait que [TRADUCTION] « [l]e caractère vague du libellé et l’information apparemment contradictoires (libellé c. plan de sécurité) ont fait en sorte qu’il était impossible de déterminer la meilleure façon de répondre aux critères obligatoires (programme d’études, certifications) de cette demande de propositions (DP) tout en assurant une sécurité adéquate ».

4. La plainte soulève les questions suivantes :

5. Le 22 septembre 2022, le BOA a confirmé que la plainte répondait aux exigences du Règlement concernant l’ombudsman de l’approvisionnement (le Règlement), et la plainte a été considérée comme déposée.

Mandat

6. L’examen de la plainte a été mené en vertu de l’alinéa 22.1(3)b) de la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et des articles 7 à 14 du Règlement.

7. Conformément au paragraphe 9(2) du Règlement, l’ombudsman de l’approvisionnement a demandé au MDN de lui fournir tous les documents ministériels liés au processus d’approvisionnement et à l’attribution du marché en question ainsi que les politiques et les lignes directrices du MDN en matière d’approvisionnement qui étaient en vigueur au moment de la demande de soumissions. L’ombudsman de l’approvisionnement a également demandé au plaignant de lui transmettre les renseignements supplémentaires qui n’avaient pas déjà été fournis dans le cadre de la plainte.

8. La chronologie des événements et les constatations du présent rapport sont fondées sur les documents fournis par le plaignant et le MDN ainsi que sur des renseignements pertinents accessibles au public. Elles pourraient donc être faussées si le plaignant ou le MDN a omis de divulguer des documents ou des renseignements d’intérêt.

Chronologie des événements

9. Le 20 juillet 2022, le MDN a envoyé la Demande de prix no W4938-22-075S par courriel à trois fournisseurs, dont l’un était le plaignant. Les soumissionnaires devaient répondre à cinq critères d’évaluation obligatoires et soumettre un prix pour une session de formation sur l’intervention en cas d’inconduite sexuelle qui se tiendra à Kingston, en Ontario, du 1er au 15 octobre 2022. Le besoin comprenait également cinq sessions de formation facultatives qui devaient se tenir à différents endroits. La date limite de dépôt des propositions était le 5 août 2022.

10. Le 22 juillet 2022, un fournisseur a envoyé un courriel à l’autorité contractante (AC) pour poser des questions sur la logistique des séances de formation et pour obtenir des conseils sur le processus d’approvisionnement, étant donné qu’il était nouveau dans le processus d’appel d’offres du gouvernement fédéral.

11. Le 25 juillet 2022, l’AC a fourni les questions et les réponses aux trois fournisseurs par courriel.

12. Le 29 juillet 2022, le même fournisseur a envoyé un courriel à l’AC pour poser une question concernant le critère d’évaluation obligatoire O2, qui exigeait que l’« animateur de groupe et les personnes de soutien du groupe de l’entrepreneur soient parfaitement bilingues dans les deux langues officielles (anglais et français) ». Le fournisseur a demandé s’il pouvait proposer un interprète français en plus d’un animateur anglophone expérimenté, car trouver une ressource bilingue s’avérait difficile.

13. Le 30 juillet 2022, l’AC a envoyé la modification no. 1 à la Demande de prix no. W4938-22-075S aux trois fournisseurs par courriel, qui modifiait le critère d’évaluation obligatoire M2 pour ajouter les mots « ou l’entrepreneur doit fournir un interprète » à la fin du critère.

14. Plus tard dans la journée, le plaignant a envoyé un courriel à l’AC pour lui demander si les soumissionnaires étaient « tenus de fournir la preuve de l’existence d’un programme d’études complet en français, ou si le fait d’attester que tous les documents ont été traduits était suffisant ».

15. Le 2 août 2022, le MDN a répondu au plaignant que « le fait d’attester que les documents sont traduits sera suffisant ».

16. Plus tard le même jour, le plaignant a soumis sa proposition.

17. Le 5 août 2022, un autre fournisseur a soumis sa proposition.

18. Entre le 17 et le 22 août 2022, le MDN a terminé son évaluation des deux propositions reçues.

19. Le 18 août 2022, l’un des trois évaluateurs du MDN a envoyé un courriel à l’AC pour lui demander si tous les documents soumis par le plaignant lui avaient été fournis, car il ne pouvait pas trouver le programme du cours. L’AC a répondu que tous les documents reçus du plaignant avaient été fournis aux évaluateurs et leur a demandé de procéder à l’évaluation sur la base de ces documents.

20. Le 9 septembre 2022, l’AC a envoyé une lettre de refus au plaignant indiquant que sa proposition avait été jugée non conforme car il n’avait pas fourni une copie du programme de cours comme l’exigeait le critère d’évaluation obligatoire O1 et qu’un contrat serait attribué à l’autre soumissionnaire pour la somme de 46 151,00 $ (hors taxes).

21. Le 11 septembre 2022, le plaignant a envoyé un courriel à l’AC pour demander un compte rendu officiel du rejet de l’offre et pour lui faire part de certaines préoccupations concernant sa proposition jugée non conforme.

22. Le 15 septembre 2022, n’ayant pas reçu de réponse de l’AC, le plaignant a déposé une plainte auprès du BOA.

23. Le 4 octobre 2022, le BOA a informé le MDN et le plaignant du début de l’évaluation de la plainte.

Analyse des questions et constatations

Question 1 – Le ministère de la Défense nationale du Canada a-t-il attribué le contrat à un soumissionnaire non conforme?

24. À ce propos, le plaignant a affirmé ce qui suit :

« Le 9 septembre 2022, nous [l’entreprise du plaignant] avons reçu la notification selon laquelle l’intention était d’attribuer le contrat au [soumissionnaire retenu] qui a fourni la proposition conforme la moins chère […]. Selon les documents accessibles au public, nous pensons que [le soumissionnaire retenu] n’était pas conforme.

Parmi la liste des critères obligatoires figure l’O[3] : Le curriculum vitæ de l’animateur de groupe de l’entrepreneur, qui comprend les certifications professionnelles et au moins une année d’expérience en matière de prestation de ce type de séances de formation, doit être fourni.

Le [soumissionnaire retenu] a commencé à dispenser une formation sur la réponse [aux traumatismes sexuels dans le cadre du service militaire] de manière officielle en mars 2022. »

25. Voici la réponse du ministère au BOA :

« Après la réception des soumissions, une évaluation approfondie a été entreprise par l’équipe d’évaluation des soumissions de perfectionnement professionnel de l’ACD qui comprenait le responsable technique et deux autres membres de l’équipe de la direction. L’évaluation a été menée indépendamment par les trois évaluateurs […].

[…] la soumission de [soumissionnaire retenu] a été jugée techniquement conforme à tous les critères obligatoires et, à ce titre, s’est vu attribuer le contrat le 9 septembre 2022.

[…]

La soumission retenue […] comportait plus de 200 pages, dont les curriculum vitæ de toutes les ressources proposées. En outre, les curriculum vitæ faisaient état d’une expérience et d’une expertise techniques qui dépassaient les exigences minimales fixées dans les critères obligatoires. »

Analyse – Question 1

26. Le 13 mai 2021, la Directive sur la gestion de l’approvisionnement (DGA) du Conseil du Trésor, qui a remplacé la Politique sur les marchés du Conseil du Trésor, est entrée en vigueur et était applicable au moment de cet approvisionnement. La DGA stipule ce qui suit concernant les critères d’évaluation pendant le processus d’appel d’offres et d’évaluation des soumissions :

4.5 Les autorités contractantes ont les responsabilités suivantes :

[…]

4.5.7 concevoir et mener à bien le processus d’évaluation des soumissions et l’évaluation financière, et faire preuve de diligence raisonnable.

27. Le Manuel d’administration de l’approvisionnement (MAA) du MDN stipule à la section 3.3.10.7 Processus d’évaluation, que :

« L’AC doit :

28. La section 3.5.3.2 – Classifications des critères d’évaluation du MAA stipule ce qui suit :

{…} a) Critères obligatoires

Les critères obligatoires sont évalués selon le principe de la réussite ou de l’échec. Le document de demande de soumissions doit clairement indiquer que le non-respect de l’un des critères obligatoires rendra la soumission non conforme et qu’elle ne sera pas prise en considération […].

29. La section 4.1 Procédures d’évaluation de la DDQ stipule ce qui suit :

30. La section 4.2 Méthode de sélection de la DDQ stipule ce qui suit :

« Une soumission doit respecter les exigences de la demande de soumissions et satisfaire à tous les critères d’évaluation techniques obligatoires pour être déclarée recevable. La soumission dont le prix évalué est le plus bas sera recommandée pour l’attribution d’un contrat. »

31. L’analyse du BOA s’est appuyée sur une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE), un organe de révision des marchés publics qui, entre autres fonctions, entend les plaintes relatives aux marchés publics concernant les occasions du gouvernement fédéral couvertes par des accords commerciaux. Dans sa décision de juillet 2017 dans l’affaire Valcom Consulting Group Inc. c. Ministère de la Défense nationale PR – 2016 – 056, le TCCE a souligné que l’évaluation des critères obligatoires est une question de stricte conformité. « La norme d’évaluation des soumissions par rapport aux critères obligatoires n’est pas fondée sur la prépondérance des probabilités. […] la conformité des soumissions doit être évaluée de façon rigoureuse et minutieuse. Il ne suffit pas que la soumission “pourrait avoir été” conforme ou qu’il “était plus probable” qu’elle le soit. Une soumission est soit conforme, soit non conforme. »

32. Dans sa décision de septembre 2014 dans l’affaire CAE Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux PR – 2014 – 007, le TCCE a déclaré que :

« […] le Tribunal fait preuve de déférence à l’égard des évaluateurs pour ce qui est de leur évaluation des propositions. Le Tribunal a déjà indiqué que la décision d’une entité publique sera jugée raisonnable si elle se fonde sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux du Tribunal.

Le Tribunal a aussi clairement indiqué qu’il conclurait qu’une évaluation est déraisonnable et substituerait son jugement à celui des évaluateurs si ceux-ci ne se sont pas appliqués à bien évaluer la proposition d’un soumissionnaire, n’ont pas tenu compte de renseignements d’importance cruciale contenus dans une soumission, ont mal interprété la portée d’une exigence, ont fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou n’ont pas, pour une autre raison, procédé à une évaluation équitable sur le plan de la procédure. »

33. Pour déterminer si la proposition du soumissionnaire retenu a été évaluée conformément au critère d’évaluation obligatoire O3, l’ombudsman de l’approvisionnement est lié par la section 12(2) du Règlement qui stipule :

« L’ombudsman de l’approvisionnement ne peut substituer son jugement à celui des personnes ayant participé au processus d’acquisition en cause relativement à l’évaluation de toute soumission, sauf si la preuve écrite établissant l’évaluation est insuffisante ou si l’évaluation est déraisonnable. »

34. Des preuves écrites suffisantes ont été fournies à l’appui de l’évaluation des critères obligatoires; toutefois, le caractère raisonnable de l’évaluation par le Ministère de la soumission du soumissionnaire retenu a nécessité une analyse supplémentaire.

Exigences obligatoires

35. La DDQ comprenait cinq exigences obligatoires auxquelles un soumissionnaire devait répondre pour que sa soumission soit jugée recevable : O1, O2, O3, O4 et O6Note de bas de page1.

36. Le critère d’évaluation obligatoire O1 exigeait de l’entrepreneur de fournir une copie du programme de formation sur l’inconduite sexuelle [dans les deux langues officielles {anglais et français}] et la preuve que la formation a été soutenue par des cliniciens experts dans le domaine de l’inconduite sexuelle militaire, de l’inconduite sexuelle et/ou du soutien aux survivants d’inconduite sexuelle. Il est dit ensuite qu’un expert reconnu peut être un professionnel universitaire, un expert médical et/ou un expert ayant une expertise équivalente acquise par l’expérience dans le domaine, comme convenu entre l’entrepreneur et le RT.

37. Le critère d’évaluation obligatoire O2 exigeait que les soumissionnaires proposent un animateur de groupe et des personnes de soutien de groupe entièrement bilingues dans les deux langues officielles (anglais et français) ou qu’elles fournissent un traducteur.

38. Le critère d’évaluation obligatoire O3 portait sur l’expérience de l’animateur de groupe proposé par le soumissionnaire. Il exigeait une copie du curriculum vitæ de la ressource proposée, y compris les certifications professionnelles, et demandait au soumissionnaire de démontrer que la ressource proposée avait au moins un an d’expérience dans la prestation de ces types de séances de formation.

39. Le critère d’évaluation obligatoire O4 portait sur l’expérience de la personne de soutien du groupe proposée par le soumissionnaire. Il exigeait une copie du curriculum vitæ de la ressource proposée, y compris les certifications professionnelles, et demandait au soumissionnaire de démontrer que la ressource proposée avait un minimum de six mois d’expérience dans la fourniture d’un soutien professionnel individuel.

40. Le critère obligatoire O6 exigeait une copie du plan d’action du soumissionnaire détaillant la manière dont l’équipe chargée de la formation apporterait un soutien aux participants susceptibles d’éprouver une réaction émotionnelle et/ou physique suite à un contenu de cours potentiellement traumatisant et/ou pendant la formation.

Évaluation par le ministère des critères obligatoires – Soumissionnaire retenu

41. Pour déterminer si le Ministère a attribué le contrat à un soumissionnaire non conforme, l’ombudsman de l’approvisionnement a dû déterminer si l’évaluation des critères d’évaluation obligatoires par les évaluateurs était déraisonnable. Pour ce faire, il examinera si les évaluateurs « ne se sont pas appliqués à bien évaluer la proposition d’un soumissionnaire, n’ont pas tenu compte de renseignements d’importance cruciale contenus dans une soumission, ont mal interprété la portée d’une exigence, ont fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou n’ont pas, pour une autre raison, procédé à une évaluation équitable sur le plan de la procédure ».

42. Le BOA a examiné la soumission retenue afin de déterminer si l’appréciation des évaluateurs concernant la conformité au critère d’évaluation obligatoire O1 était déraisonnable. Le soumissionnaire retenu a fourni une copie du programme sur l’inconduite sexuelle [dans les deux langues officielles (anglais et français)] et a fourni la preuve que la formation était soutenue par des cliniciens experts dans le domaine de l’inconduite sexuelle militaire, de l’inconduite sexuelle et/ou du soutien aux survivants d’inconduite sexuelle. Les évaluateurs ont déterminé que le critère d’évaluation obligatoire O1 était satisfait, et l’ombudsman de l’approvisionnement n’a pas jugé cette appréciation déraisonnable.

43. Pour le critère d’évaluation obligatoire O2, les évaluateurs ont également estimé que la soumission retenue était conforme. Le soumissionnaire retenu a proposé des animateurs de groupe et des personnes de soutien de groupe parfaitement bilingues dans les deux langues officielles (anglais et français). L’ombudsman de l’approvisionnement n’a pas jugé cette appréciation déraisonnable.

44. Le BOA a examiné la soumission retenue afin de déterminer si l’appréciation des évaluateurs concernant la conformité au critère d’évaluation obligatoire O3 était déraisonnable. En ce qui concerne le critère O3, le soumissionnaire retenu a proposé quatre animateurs de groupe, deux anglophones et deux bilingues. Le soumissionnaire retenu a fourni des copies des curriculum vitæ des quatre ressources proposées, y compris les certifications professionnelles, et a déclaré que deux d’entre elles avaient animé ce type de séances de formation au cours de la dernière année et que les deux autres avaient animé des séances pendant moins de la période requise d’un an. Le BOA a examiné les quatre curriculum vitæ et n’a trouvé aucune indication que les quatre ressources proposées avaient une expérience en matière de prestation de séances de formation sur l’inconduite sexuelle militaire, l’inconduite sexuelle et/ou le soutien aux survivants d’inconduite sexuelle d’au moins un an. Bien qu’il soit clair que deux des quatre ressources incluses par le soumissionnaire retenu avaient offert une formation pendant au moins un an, le sujet de l’expérience de formation n’avait aucune pertinence à l’égard des séances de formation sur l’inconduite sexuelle militaire, l’inconduite sexuelle et/ou le soutien aux survivants d’inconduite sexuelle. Puisque l’exigence en vertu du critère O3 demandait au moins une année d’expérience en matière de prestation de ce type de séances de formation, l’expérience de formation générale sur des sujets sans rapport n’était pas applicable à l’exigence. Par conséquent, l’ombudsman de l’approvisionnement a estimé que l’appréciation du Ministère selon laquelle le critère d’évaluation obligatoire O3 était respecté était déraisonnable.

45. En réponse au critère d’évaluation obligatoire O4, le soumissionnaire retenu a fourni le curriculum vitæ de la ressource en charge du soutien du groupe. Le curriculum vitæ comprend la certification professionnelle et démontre que la ressource proposée possède une expérience d’au moins six mois en matière de prestation de soutien professionnel individuel. L’ombudsman de l’approvisionnement n’a pas jugé cette appréciation déraisonnable.

46. En réponse au critère d’évaluation obligatoire O6, le soumissionnaire retenu a inclus un plan d’action détaillant la manière dont l’équipe de formation de l’entrepreneur apporterait son soutien aux participants susceptibles d’éprouver une réaction émotionnelle et/ou physique en raison du contenu potentiellement traumatisant du cours et/ou pendant la formation. L’ombudsman de l’approvisionnement n’a pas jugé cette appréciation déraisonnable.

47. Comme le souligne la décision du TCCE dans l’affaire Valcom Consulting Group Inc. c. Ministère de la Défense nationale PR – 2016 – 056, la norme d’évaluation des soumissions par rapport aux critères d’évaluation obligatoires n’en est pas une de prépondérance des probabilités, et les soumissions doivent être évaluées aux fins de stricte conformité. Étant donné que le critère d’évaluation obligatoire O3 exigeait que le soumissionnaire retenu propose un animateur de groupe, fournisse des certifications professionnelles et démontre une expérience d’au moins un an en matière de prestation de ce type de séances de formation, et qu’il ne l’a pas fait, l’ombudsman de l’approvisionnement a jugé déraisonnable l’appréciation des évaluateurs selon laquelle le soumissionnaire retenu s’était conformé au critère d’évaluation obligatoire O3.

48. La Directive sur la gestion de l’approvisionnement considère qu’une soumission est non conforme si elle ne répond pas à toutes les exigences obligatoires énumérées dans l’appel d’offres. De plus, la DDQ incorporait les instructions uniformisées 2003 des Clauses et conditions uniformisées d’achat (CCUA) (29-03-2022) qui stipulent ce qui suit : « Le Canada déclarera une soumission non recevable s’il constate que les renseignements exigés sont incomplets ou inexacts, ou que les renseignements contenus dans une attestation ou une déclaration sont faux ou trompeurs, à quelque égard que ce soit ». Cela se reflète dans la section 4.2 de la DDQ, qui stipule ce qui suit : « Pour être jugée recevable, une soumission doit répondre aux exigences de la demande de soumissions et à tous les critères d’évaluation technique obligatoires. » Comme le soumissionnaire retenu ne répondait pas aux exigences du critère d’évaluation obligatoire O3, il aurait dû être considéré comme non recevable et ne pas être pris en considération.

Évaluation par le ministère des critères obligatoires – Plaignant

49. Les évaluateurs ont estimé que la soumission du plaignant n’était pas conforme. Selon le courriel de regret envoyé au plaignant, il était indiqué : « … votre proposition n’a pas été jugée conforme aux critères techniques de la DP, en raison de la non-soumission du programme de cours. »

50. Pour déterminer si la soumission du plaignant aurait dû être recommandée pour l’attribution du contrat, le BOA devait confirmer que l’appréciation de la conformité par les évaluateurs n’était pas déraisonnable.

51. En réponse au critère d’évaluation obligatoire O1, la soumission de la plaignante ne comprenait pas de copie du programme de formation sur l’inconduite sexuelle. Elle a plutôt fait référence à des blocs de formation pour chacune des exigences de l’énoncé de travail qui énuméraient les résultats d’apprentissage requis. Les évaluateurs ont jugé le critère d’évaluation obligatoire O1 non conforme, et l’ombudsman de l’approvisionnement n’a pas jugé cette appréciation déraisonnable.

52. Pour le critère d’évaluation obligatoire O2, la soumission du plaignant démontrait que l’animateur de groupe et les personnes en charge du soutien du groupe de l’entrepreneur étaient bilingues dans les deux langues officielles (anglais et français). L’ombudsman de l’approvisionnement n’a pas jugé cette appréciation déraisonnable.

53. En ce qui concerne le critère d’évaluation obligatoire O3, la soumission du plaignant contenait le curriculum vitæ de l’animateur de groupe proposé, y compris les certifications professionnelles et la preuve d’une expérience d’au moins un an en matière de prestation de ce type de séances de formation. L’ombudsman de l’approvisionnement n’a pas jugé cette appréciation déraisonnable.

54. En ce qui concerne le critère d’évaluation obligatoire O4, la soumission du plaignant contenait le curriculum vitæ de la ressource en charge du soutien du groupe proposée, y compris les certifications professionnelles et la preuve d’une expérience d’au moins six mois en matière de prestation de soutien professionnel individuel. L’ombudsman de l’approvisionnement n’a pas jugé cette appréciation déraisonnable.

55. En ce qui concerne le critère d’évaluation obligatoire O6, la soumission du plaignant comprenait un plan d’action détaillant la manière dont l’équipe de formation de l’entrepreneur apporterait son soutien aux participants susceptibles d’éprouver une réaction émotionnelle et/ou physique en raison du contenu potentiellement traumatisant du cours et/ou pendant la formation. L’ombudsman de l’approvisionnement n’a pas jugé cette appréciation déraisonnable.

56. Par conséquent, l’ombudsman de l’approvisionnement n’a pas jugé déraisonnable l’appréciation des évaluateurs selon laquelle la soumission du plaignant était non conforme. La soumission ne répondait pas aux exigences du critère d’évaluation obligatoire O1 et n’a donc pas été prise en considération.

Constatation – Question 1

57. L’ombudsman de l’approvisionnement a estimé que l’appréciation des évaluateurs selon laquelle le soumissionnaire retenu s’était conformé au critère d’évaluation obligatoire O3 était déraisonnable. Le ministère a donc attribué le contrat à un soumissionnaire dont la proposition n’était pas recevable.

58. En outre, l’ombudsman de l’approvisionnement a estimé que l’appréciation par les évaluateurs de la soumission du plaignant comme étant non conforme n’était pas déraisonnable.

Question 2 – Les critères d’évaluation obligatoires étaient-ils imprécis au point de rendre difficile pour un soumissionnaire de présenter une soumission conforme?

59. À ce propos, le plaignant a affirmé ce qui suit :

« W4938-22-075S comporte plusieurs problèmes avec un langage vague et non précis. »

« Exigences obligatoires :

60. Dans sa correspondance avec le MDN, le plaignant a également déclaré ce qui suit :

« [Notre entreprise] a demandé par courriel si la preuve du programme d’études était requise ou si l’attestation que le programme d’études répondait aux exigences était suffisante – on nous a répondu que l’attestation était adéquate (30 juillet 2022). S’il était nécessaire d’inclure une copie d’un programme d’études officiel, cette réponse aurait dû être plus claire. »

61. Dans sa réponse au BOA, le MDN a déclaré ce qui suit :

« […] En réponse à la plainte modifiée selon laquelle les critères obligatoires comportaient un libellé vague et non spécifique, les critères ont été réécrits à plusieurs reprises pour les rendre plus génériques, assurer l’équité et la transparence et permettant à tous les soumissionnaires potentiels de présenter une soumission conforme. En outre, la Politique sur les marchés en vigueur stipule que les soumissionnaires ont le droit de poser des questions de clarification si nécessaire au cours du processus de demande de soumissions. Toute information complémentaire fournie par le MDN est communiquée à tous les soumissionnaires. Le plaignant n’a posé aucune question de clarification. »

62. La section 4.1.2.4 de la DGA exige que les cadres supérieurs désignés pour la gestion de l’approvisionnement soient responsables du maintien de l’intégrité du processus d’approvisionnement.

63. La jurisprudence a établi que c’est aux soumissionnaires qu’il incombe de demander des éclaircissements sur les questions qu’ils jugent ambiguës ou incertaines. Dans sa décision de mai 2022 dans l’affaire Krav Maga Ottawa c. le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement PR – 2022-010, le TCCE a conclu que si un soumissionnaire a « des doutes quant au libellé de la DP, [il] aurait pu et aurait dû demander des précisions auprès du [ministère] avant de soumettre sa soumission. En fait, les soumissionnaires doivent poser des questions en temps opportun s’ils estiment que le libellé de la DP n’est pas clair. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., « [l]es fournisseurs potentiels ne doivent donc pas attendre l’attribution d’un contrat avant de déposer toute plainte qu’ils pourraient avoir concernant la procédure. On s’attend à ce qu’ils soient vigilants et qu’ils réagissent dès qu’ils découvrent ou auraient vraisemblablement dû découvrir un vice de procédure ». »

Analyse – Question 2

64. Les critères d’évaluation obligatoires exigeaient ce qui suit :

65. Le 30 juillet 2022, le plaignant a envoyé une question de clarification au MDN demandant ce qui suit :

« Devons-nous fournir la preuve de l’existence d’un programme complet en français, ou est-il suffisant d’attester que nous avons tous les documents traduits? »

66. La réponse de l’AC au plaignant, datée du 2 août 2022, indiquait ce qui suit :

« Il suffira d’attester que vous avez fait traduire les documents. »

67. Les évaluateurs du MDN ont procédé à l’examen de tous les documents reçus par le plaignant, conformément aux directives de l’autorité contractante, le 18 août 2022. Le résultat de l’évaluation a montré que le plaignant n’a pas fourni une copie de son programme de cours (ni en anglais ni en français), ni une attestation indiquant que le matériel de cours avait été traduit.

68. Dans sa lettre de refus, le MDN a déclaré que la soumission du plaignant avait été rejetée, parce qu’il n’avait pas fourni une copie de son programme de formation, comme l’exigeait le critère O1.

69. Le plaignant a demandé une clarification concernant le critère d’évaluation O1, mais la question posée ne concernait que la traduction française du programme d’études. Dans sa réponse, le MDN a indiqué que le plaignant pouvait soumettre une attestation selon laquelle son matériel de cours avait été traduit en français. Le plaignant était tout de même tenu de fournir une copie du programme de cours en anglais, mais il ne l’a pas fait.

70. Bien que le libellé du critère d’évaluation O1 aurait pu être amélioré, l’exigence obligatoire de fournir une copie du programme de cours était suffisamment claire pour permettre aux soumissionnaires de soumettre une offre conforme. Le plaignant a demandé des éclaircissements concernant l’aspect linguistique du critère d’évaluation obligatoire O1, et n’a posé aucune question d’éclaircissement concernant tout autre aspect du critère d’évaluation obligatoire O1 ou des autres critères avant de soumettre sa soumission.

71. La jurisprudence a établi que les soumissionnaires potentiels sont censés demander des éclaircissements lorsqu’ils ont affaire à des demandes de soumissions peu claires. Si le libellé des critères d’évaluation O2, O3, O4 et O6 aurait pu être amélioré, ces exigences obligatoires étaient suffisamment claires pour permettre aux soumissionnaires de présenter une soumission conforme. En témoigne le fait que la soumission du plaignant a été jugée conforme aux critères d’évaluation obligatoires O2, O3, O4 et O6, tout comme celle du soumissionnaire retenu.

72. Les critères obligatoires sont utilisés pour indiquer aux soumissionnaires ce que leurs soumissions doivent démontrer pour passer à la phase suivante de l’évaluation. Les ministères doivent donc s’assurer que les critères obligatoires sont correctement décrits afin que : a) les soumissionnaires comprennent comment les respecter et b) les évaluateurs disposent d’une norme objective et mesurable pour les évaluer. Il pourrait également être difficile de se défendre contre des contestations extérieures du processus d’évaluation et de démontrer que les critères ont été strictement respectés lorsque les critères ne sont pas clairs et sont sujets à de multiples interprétations. Des critères d’évaluation clairs, précis et mesurables favorisent un approvisionnement équitable et transparent.

Constatation – Question 2

73. L’ombudsman de l’approvisionnement estime que les critères d’évaluation obligatoires étaient suffisamment clairs pour permettre aux soumissionnaires de soumettre une soumission conforme.

74. L’ombudsman de l’approvisionnement estime également que, dans la mesure où le plaignant a trouvé l’exigence vague, il avait l’obligation de demander des éclaircissements, ce qu’il n’a pas fait pour tous les critères d’évaluation obligatoires, à l’exception de l’aspect linguistique du critère d’évaluation obligatoire O1.

Conclusion

75. L’ombudsman de l’approvisionnement a estimé que l’appréciation des évaluateurs selon laquelle le soumissionnaire retenu s’était conformé au critère d’évaluation obligatoire O3 était déraisonnable. Le Ministère a donc attribué le contrat à un soumissionnaire dont la proposition n’était pas recevable.

76. En outre, l’ombudsman de l’approvisionnement a estimé que l’appréciation par les évaluateurs de la soumission du plaignant comme étant non conforme n’était pas déraisonnable.

77. Les critères d’évaluation obligatoires étaient suffisamment clairs pour que les soumissionnaires les comprennent et soumettent des soumissions entièrement conformes.

78. Étant donné que la demande de soumissions a été jugée suffisamment claire pour solliciter des soumissions conformes et que la soumission du plaignant a été jugée non recevable, l’ombudsman de l’approvisionnement ne peut pas recommander une indemnisation en vertu de l’alinéa 13(1)a) ou b) du Règlement, car le plaignant n’aurait pas obtenu le contrat si la soumission retenue avait été jugée non conforme et, lorsque le plaignant a soumis sa soumission, ses chances d’obtenir le contrat étaient égales à celles du soumissionnaire retenu.

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